Jacques Weber débarque dans une chambre d’hôtel hongkongaise éclairée comme à l’hôpital par de longs néons blancs. Costume noir et chemise blanche, bouquet à la main, et cette petite mèche blanche qui tombe élégamment sur le haut de son front. L’allure bourgeoise. Face au lit, une table Tulip sur laquelle le patriarche dispose progressivement son whisky, ses médicaments, et, dans un cadre, la photo d’une compagne défunte. Dans cette intimité qui ne lui appartient pas, Weber déroule les souvenirs d’un auteur quarante ans amoureux de cette femme que les anecdotes nous aident progressivement à révéler, entre débauche et appétit (de vie, de littérature). Puis lui-même se guide doucement vers une mort choisie, une mort étrange tant elle est béate — Ranger offre une image somme toute peu courante, celle d’une satisfaction quasi-totale qui amène tout naturellement le vieil homme, après quelques rails de coke, à s’abandonner à la mort, enveloppé des souvenirs d’un amour immaculé.
La langue nerveuse de Rambert se dérobe derrière ce chant du cygne amoureux : la partition de Weber n’est pas celle du conflit, comme dans Architecture, et la chambre accueille à la place un temps ultime qui n’est même pas celui de la réparation, mais celui du bilan satisfait d’une vie sans manque. Seul son récit d’homme lost in translation à l’issue d’une journée émaillée de mésententes avec son interprète allophone rappelle, en filigrane, cette intranquilité toute rambertienne, mais non sans humour et légèreté. Jacques Weber a, lui, quelque chose du vieux lion que l’on en attendait dans ce seul en scène.