Portrait de famille, une histoire des Atrides de Jean-François Sivadier d’après les textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Sénèque © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

« Portrait de famille, une histoire d’Atrides » : Sivadier déchaîne la tragédie antique

Au Printemps des comédiens, le metteur en scène manceau adapte pour une partie de la promotion 23 du CNSAD la plus épique des tragédies grecques, livrant une relecture déjantée qui déclenche les rires et quelques larmes.

On connaît bien l’histoire des Atrides, cette famille royale mycénienne dont le destin tragique et sanguinaire a alimenté les grandes œuvres du classicisme grec. Il faut dire qu’en quelques générations, du patriarche Tantale aux derniers descendants, ses arrières-arrières-petits-enfants Oreste et Électre, les crimes à mettre à leur actif sont des plus horrifiques. Maudits pour avoir offensé les dieux et avoir commis les pires atrocités — incestes, infanticides, matricides, trahisons et tromperies —, ils n’ont cessé d’alimenter les chroniques antiques. Une matière telle, dans laquelle se conjuguent étroitement passion et haine, vengeance des dieux et émancipation des hommes, est un terreau béni pour tout dramaturge. 

En adaptant cette fresque mythologique pleine de rebondissements pour une partie de promotion 23 du Conservatoire national supérieur de Paris, Jean-François Sivadier s’amuse à détourner les codes de la tragédie pour en livrer une version pop-rock des plus savoureuses. Usant à merveilles de tous les effets scéniques dont regorge le théâtre et ne se refusant aucune insertion dans le registre potache, voire un peu kitsch, il fait aux quatorze jeunes actrices et acteurs qu’il met en scène avec une énergie de tous les diables un magnifique cadeau d’entrée dans le monde professionnel. 

Portrait de famille, une histoire des Atrides de Jean-François Sivadier d’après les textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Sénèque © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Les brouhahas de la salle ne sont pas encore terminés, qu’un jeune homme, très longiligne, un peu gauche, rappelle les consignes de base pour apprécier le spectacle à venir — téléphone éteint, photos interdites, etc. Sans qu’on le sache, le spectacle a déjà commencé. L’ouvreur se fait conteur. En quelques mots, dont certains sont sciemment écorchés, Sébastien Lefebvre expose les faits, donne les grandes lignes de l’intrigue. Le ton est donné. La tragédie des atrides sert d’essence à une vaste farce tant baroque que burlesque. Au début était une pomme, qui doit désigner la plus bellee des déesses. Rongée jusqu’au trognon, elle n’apporte que brouilles et zizanies vouées à s’achever en bain d’hémoglobine grand-guignolesque. 

Quatre heures durant, les quatorze comédiens et comédiennes donnent vie avec une énergie folle à ces héros antiques. De l’impassible Agamemnon (Aristote Luyindula) au dément sanguinaire Atrée (Arthur Louis-Calixte), en passant par une inénarrable Clytemnestre (Marine Gramond), qui n’a clairement pas la langue dans sa poche, une furibonde Électre (Cindy Almeida de Brito), un chétif Oreste (Walid Caïd), un furieux général grec (Mohamed Guerbi), un Egisthe bellâtre (Alexandre Patlajean), un achille impayable et dégenré (Olek Guillaume) et un poète maudit tout glorifié de lui-même (Rodolphe Fichera), Jean-François Sivadier croque avec délectation des personnages archétypaux rattrapés par la banalité de leur propre nature, tout simplement humaine. 

Jouant en terre de contrastes dans un décor faisant plus penser à un squat recouvert de cendres qu’à un palais doré, ce Portrait de famille oscille en permanence entre réalité gouailleuse et fiction surréaliste. Répliques hilarantes, plaisanteries à gros traits, situations ubuesques offre à la tragédie antique qui court en filigrane, des airs de grandes fêtes du théâtre. Portés par une mise en scène ingénieuse et plurielle dans sa grammaire, les quatorze interprètes, excellents voire virtuoses, s’en donnent à cœur joie et enchantent un public conquis et heureux ! 


Portrait de famille, une histoire des Atrides de Jean-François Sivadier d’après les textes d’Euripide, d’Eschyle, de Sophocle, de Sénèque
Création de Jean-François Sivadier avec la participation d’une partie de la promotion 23 du CNSAD-PSL. Présentation en avant-premières au Théâtre du Conservatoire par la Cie Italienne avec Orchestre en partenariat avec le CNSAD-PSL du 16 au 20 décembre 2023.

Le Printemps des comédiens
Théâtre Jean-Claude Carrière
Domaine d’O
178 Rue de la Carriérasse 
34090 Montpellier

Tournée
18 au 29 septembre 2024 au Théâtre de la Commune – CDN Aubervillers
4 et 5 octobre 2024 au Carré Sainte Maxime
13 et 14 novembre 2024 à La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle
7 et 8 février 2025 au TAP, Scène Nationale de Poitiers
12 et 13 février 2025 à L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry
19 au 21 mars 2025 à La Comédie de Béthune, CDN Hauts de France
19 au 29 juin 2025 au Théâtre du Rond-Point à Paris

mise en scène de Jean-François Sivadier
Avec Cindy Almeida de Brito, Manon Leguay, Arthur Louis-Calixte, Alexandre Patlajean, Marcel Yildiz, Walid Caïd, Aristote Luyindula, Elena El Ghaoui, Rodolphe Fichera, Marine Gramond, Mohamed Guerbi, Olek Guillaume, Olivia Jubin, Sébastien Lefebvre
Collaboration artistique – Rachid Zanouda
Lumière de Jean-Jacques Beaudouin
Scénographie des étudiants en 4e année à l’École des Arts Décoratifs – Paris – Xavi Ambroise, Martin Huot, Violette Rivière
Costumes de Valérie Montagu
Son de Jean-Louis Imbert
Régie générale et Régie son de Jean-Louis Imbert, Régie lumière de Jean-Jacques Beaudoin et Régie plateau de Marion Le Roy
Habilleur – Yann Pagès

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