Phèdre de Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz © Meghann Stanley
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« Phèdre » par tous les temps

En ouverture de la première édition du festival de Tragédies, initié par le Théâtre national de Nice, sa directrice, Muriel Mayette-Holtz, poursuit son exploration des vers raciniens et les fait résonner dans la nuit aux Arènes de Cimiez.

Célébrer la tragédie sous toutes ses formes, c’est l’ambitieux et passionné programme du Festival de Tragédies que vient de lancer Muriel Mayette-Holtz, directrice du TNN, dans le cadre somptueux des Arènes de Cimiez. Soutenue par la mairie, la manifestation, qui se tient du 19 juin au 5 juillet 2024, se veut une traversée émotionnelle et patrimoniale d’œuvres de répertoire comme de création faisant écho aux grands drames antiques. En offrant aux spectateurs une exploration de la nature humaine dans des écrins naturels et historiques, l’objectif affiché de ce nouveau rendez-vous estival est de conjuguer beauté des mots et des lieux, de sortir de l’institution le spectacle vivant et de redonner leur dimension populaire à des textes puissants, souvent poétiques.

Phèdre de Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz © Meghann Stanley
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Pour cette première édition, la metteuse en scène ouvre le bal en montant en plein air, Phèdre de Racine. Plongeant dans les méandres des passions interdites et du désir qui consume l’âme et le corps, Muriel Mayette-Holtz fait le choix de recentrer l’œuvre autour de la relation ambiguë qui unit la jeune reine d’Athènes (Éve Pereur) à sa suivante Œnone (Nicolas Maury). Sacrifiée sur l’autel de la raison, celle des hommes, la jeune femme se voit contrainte d’épouser le glorieux mais vieillissant Thésée (Nicolas Bouchaud), en lieu et place de sa sœur, la tristement abandonnée Ariane.

S’affranchissant des intrigues secondaires, taillant dans le vif du texte et lui adjoignant un prologue slamé de Jacky Ido, la metteuse en scène déborde le drame antique pour l’inscrire dans une forme d’intemporalité. Certes, les costumes très XVIIe siècle rappellent l’âge d’or des tragédies, mais ce n’est pas tant l’inceste qu’elle cherche à faire transparaître que l’amour brûlant d’une jeune femme pour un homme de son âge. Déplaçant le propos sur le terrain des émois de la passion, elle esquisse une fresque intime et baroque, où fureur et abattement se conjuguent et se confrontent dans le cœur palpitant de Phèdre.

Phèdre de Racine, mise en scène de Muriel Mayette-Holtz © Meghann Stanley
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En confiant à Nicolas Maury, excellent, le rôle de la suivante, Muriel Mayette-Holtz joue coup double. Loin des rôles qui l’ont fait connaître, il campe une personnalité trouble à la fois dévouée à sa maîtresse et prête à tout, même au pire, pour que cette dernière soit auréolée d’honneur et de gloire. Son jeu minimaliste, sa manière de déclamer les alexandrins sans sourciller, avec une certaine distance, donne à ce personnage secondaire une place centrale, une dimension glacée sidérante. Manipulatrice autant que charnellement attachée à Phèdre, ses gestes quasi-amoureux en témoignent, elle conduit le char de la destinée vers sa fatale issue.

Les autres comédiens ne sont pas en reste. Nicolas Bouchaud se glisse à merveille dans le rôle de ce roi ressuscité qui, trop prompt à la vindicte, sacrifiera son fils innocent et assistera impuissant à la mort de son épouse, plus victime que coupable. Bien qu’encore fragiles dans leur interprétation — que la pluie intermittente à quelque peu déstabilisée —, Augustin Bouchacourt fait une entrée fracassante sur son fier destrier et Éve Pereur habite l’espace avec une fébrilité et une fièvre tout juste contenue. Sublimée par le lieu et les gouttes d’eau qui zèbrent les airs, la tragique histoire de Phèdre hante les ruines romaines. Les vers de Racine s’envolent, éclatants, brûlants, terriblement humains.


Phèdre de Jean Racine
Festival de Tragédies
du 19 juin au 5 juillet 2024
Arène de Cimiez
Rue Jean-Jacques Rousseau
06000 Nice
Du 19 au 22 juin 2024
durée 1h30

Mise en scène de Muriel Mayette-Holtz
Avec Augustin Bouchacourt, Nicolas Bouchaud, Jacky Ido, Nicolas Maury, Ève Pereur
Lumière de François Thouret 
Musique de Cyril Giroux 
Costumes de Rudy Sabounghi assisté de Quentin Gargano-Dumas
Création slam de Jacky Ido 
Perruque & maquillage de Fabien Giambona 

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