Noces de crins, Bartabas © Benoît Lemaire/IFCE
© Benoît Lemaire/IFCE

Les belles « Noces de crins » de Bartabas et du Cadre noir de Saumur

Dans la grande halle de la Villette se joue un ballet hors-norme : tout est réglé au pas, au trot, au galop, à la folie. Une vraie magie.

« Qui est là ? » Hamlet pourrait se trouver là, à convoquer le spectre et nous à le suivre, au milieu de l’espace, vaste, de la grande halle de la Villette. Le spectacle se joue entre deux groupes de gradins disposés en bifrontal. Au milieu, l’arène, la piste, la scène. Une quarantaine de chevaux, cavaliers et cavalières entreront par les quatre angles, de dos de face, et la magie commencera. Et à la question shakespearienne s’imposera une réponse  : la beauté. Bartabas a fait se rencontrer, et non pas s’unir, « son » académie équestre féminine de Versailles et les « sportifs » gradés ou non du prestigieux Cadre noir de Saumur. Le Cadre noir, ce nec plus ultra, cette référence au sommet, ce Nobel de l’art équestre se produit en gala régulièrement. « Cela fait partie de nos obligations avec la recherche, l’enseignement et la formation », nous explique l’un des officiers, quinze ans au Cadre, soit le double d’expérience des jeunes femmes qui reçoivent la formation de Bartabas à l’Académie de Versailles.

Noces de crins, Bartabas © Benoît Lemaire/IFCE
© Benoît Lemaire/IFCE

Cette différence se fait un peu sentir dès le premier tableau, lorsqu’arrivent ces jeunes guerrières, la lance pas facile à manier au poing, et l’on craint que ces Noces de crins râpent peu le tissu du spectacle. Pas du tout. A cette introduction un peu fragile succèdent la solennité, l’enchantement. Dans l’arène vide, se matérialise une entité à deux corps, uniforme pour le cheval et le cavalier, même âme, même langage, tête ployée et tête haute, jambes serrées autour des flancs, jambes levées en réponse et là, pour nous spectateurs, avertis ou non, l’émotion envahit tout, cueille et recueille ce qui ne s’explique pas et serre la gorge. Est-ce le mouvement qui impulse la beauté ou la beauté qui assigne le mouvement au sublime ? Alors les chevaux dansent ? C’est donc vrai ? Le couple naît de cette osmose : tu me donnes une impulsion, je danse ce signe ; je te dis par la main, je te parle par le pied, nous sommes danseurs. Car ce qu’on voit là, ce à quoi l’on assiste s’appelle la grâce. Pas le gracieux mais le brutal élan de la splendeur, pas le joli mais la violence du beau.

Je ne suis pas une spécialiste du dressage, je ne saurai donc évaluer la qualité des piaffés, des passages, du trot assemblé, du guidage avec rênes longues, tous ces termes que les spécialistes présents à cette représentation (enfants y compris) savaient reconnaître. Je n’ai rien vu de tout cela, sinon, entre autres images magiques, une cavalière en noir, à pied derrière un cheval blanc, elle lui tapotant un rythme bien précis sur le dos et le dieu avançant, le rythme au corps, jouant des jambes et des pas… Dans Le Figaro du 13 juin, interrogé par Ariane Bavelier, Thierry Vallette, l’écuyer en chef du Cadre noir, précisait les qualités de la « marque » : « Le Cadre noir représente l’équitation de tradition française qui se définit par l’harmonie, la légèreté, le respect de l’animal, la confiance réciproque ». Il ajoutait : « Harmonie, simplicité, sans esbroufe. »

Ainsi se succèdent, une heure durant, les respirations de cette étrange chorégraphie, à pied, à cheval… et au milieu de cet étrange ballet surgit un moment suspendu : les chevaux sans selle, sans cavalier, arrivent au milieu de la piste, s’ébrouent et se caressent, jouent, galopent soudain… Presque l’insoutenable légèreté de l’être, en tout cas pas loin, même si tout cela est orchestré.

Noces de crins, Bartabas © Benoît Lemaire/IFCE
© Benoît Lemaire/IFCE

Le spectacle n’a pas été facile à mettre en place. Une certaine méfiance entre Bartabas et Saumur a dû être dépassée, et c’est grâce à l’Olympiade culturelle organisée par le comité des Jeux olympiques et paralympiques dans le but de faire dialoguer art et sport qu’il a pu exister. Les deux « stars », Bartabas et le Cadre noir, ont finalement pu s’entendre. Des vidéos ont été échangées pour décider des structures, de ce qui était possible et ce qui ne l’était pas. Les répétitions se sont faites de part et d’autre et quelques jours avant la première, la rencontre « réelle » a eu lieu.

Le résultat est magnifique, même quand « on n’y connait rien » — et c’est souvent la réflexion qu’on peut entendre à propos d’un spectacle de danse. Il n’y a rien à comprendre. Ouvrez les yeux et regardez. Sur la scène, car c’est bien du théâtre qu’il s’agit ici, d’une célébration, une représentation comme l’antique à Athènes en convoquait, quelque chose dépasse l’humain, dit et révèle le lien invisible entre ce qui est l’autre et nous.


Noces de Crins de Bartabas
Grande halle de la Villette
211 Av. Jean Jaurès, 75019 Paris

Du 16 au 23 juin 2024
Durée 1h

Mise en scène et chorégraphie Bartabas avec les écuyères et les chevaux de l’Académie Équestre de Versailles et le Cadre Noir de Saumur.
Tableaux chorégraphiés sur des musiques d’Arandel, récréations autour de l’œuvre de Bach

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