Michele Murray © Julien Reyes
Michele Murray © Julien Reyes

Michèle Murray : «  la chorégraphie naît des situations que je traverse »

De Tours, où elle présentera le 13 juin prochain "Time", sa nouvelle création, jusqu'à Montpellier, où elle recrée en version augmentée "Dancefloor", pièce imaginée pour les 24 danseurs du Ballet de Lorraine, la chorégraphe franco-américaine poursuit son exploration du mouvement et du temps qui passe.

Michèle Murray : Vers l’âge de dix-huit ans. Ayant quelques racines françaises, j’avais envie de perfectionner ma pratique du Français. Venant d’une famille qui a toujours été très sensible à la musique et aux arts en général, j’ai assez tôt pratiqué la danse classique. J’en suis tombée amoureuse assez vite, mais je n’avais pas dans l’idée d’en faire mon métier. À l’époque, faire carrière dans le classique, si tu n’étais pas à l’Opéra de Paris ou dans une institution du même ordre, était un chemin était assez ardu. C’est à ce moment que j’ai découvert la danse contemporaine. Cela m’a énormément intéressée. J’ai continué. 

Empire of flora de Michèle Murray - Montpellier Danse © Ronan Müller
Empire of flora de Michèle Murray – Montpellier Danse © Ronan Müller

Michèle Murray : La grande rencontre, c’est Merce Cunningham. Je suis partie étudier un an aux États-Unis et j’ai découvert grâce à lui ce que signifiait la liberté artistique, l’esprit de recherche créative sans limite. C’était fascinant de le voir travailler et de voir comme il a révolutionné la danse en s’appuyant sur une technicité exigeante. Tout ce qu’il a amené irrigue maintenant toute la danse contemporaine. C’est assez fou. Bien sûr, côté allemand, il y a Pina Bausch. Mais avec le recul, je crois que c’est du côté américain, dans le travail de Merce Cunningham que je trouve la source d’inspiration la plus constante.

C’est notamment à lui que l’on doit le fait que la danse et la musique ne doivent pas être forcément liés. Même si l’on revient régulièrement sur ce concept et que le rapport à la musique prend aujourd’hui des formes multiples. Il y a chez lui quelque chose à la fois de très terre-à-terre, de très pratique, et en même temps le besoin de liberté, l’envie de s’en détacher en permanence. Ce sont des choses qui me parlent : quand je crée une pièce, je ne cherche pas un sujet extérieur à la danse qui va nourrir le projet, mais la pièce se construit à partir de la situation dans laquelle je me trouve. Dans Dancefloor, par exemple, les différents vocabulaires de mouvement m’intéressaient car je trouve qu’ils disent beaucoup par eux-mêmes. Évidemment, ma réflexion est alimentée par ce que je traverse, par des œuvres qui me touchent et des sujets qui me questionnent. Mais c’est la danse qui me guide, et le mouvement façonne mon écriture. 

C’est-à-dire ?  

Dancefloor de Michèle Murray © Laurent Philippe
Dancefloor de Michèle Murray © Laurent Philippe

Michèle Murray : Je me nourris de plein de choses. Je lis beaucoup, je vais voir des expositions, j’écoute beaucoup de musique. En revanche, quand je commence une pièce, il n’y a vraiment que deux choses qui prennent le pas sur le reste : le contexte à l’origine de la pièce et une question d’ordre chorégraphique à laquelle je tente d’apporter une réponse. Le point de départ de Dancefloor a été la commande de Petter Jacobsson, directeur du CCN-Ballet de Lorraine. La demande consistait à créer une pièce pour vingt-quatre danseuses et danseurs.

C’est donc logiquement devenu le sujet de la pièce, d’autant que c’est la première fois que je crée pour un si grand nombre d’interprètes. De ce fait, la question qui m’a habitée tout au long des répétitions était : comment chorégraphier pour un grand nombre tout en laissant à chacun et chacune sa force d’expressivité, tout en faisant ressortir chacun et chacune ? La réponse n’est pas si simple. Il était fondamental pour moi que le résultat n’aille pas vers quelque chose de l’ordre de la transe collective. Par ailleurs, ce qui m’a passionnée avec ce corps de ballet, c’est que tous ont une formation classique assez poussée. Ce qui allait parfaitement dans les recherches qui traversent mes dernières pièces : comment relier tous ces vocabulaires où se conjuguent le classique et le contemporain ? Comment les mettre au même plan ? Comment travailler au plateau les notions de spatialité et de temporalité ?

Michèle Murray : Que l’on soit deux ou vingt-quatre, finalement, ça ne change pas grand-chose. J’ai travaillé comme je le fais en général avec mes danseurs. Je propose des lignes directrices et un certain matériel chorégraphique qui consiste généralement en ce que j’appelle des modules ou motifs chorégraphiques, et je les laisse s’en emparer pour créer leur mouvement. En parallèle de cela je combine de plus en plus avec des partitions de phrases plus écrites. Cela me permet de créer différents niveaux de lecture. En fonction de ce que je veux montrer au plateau, j’alterne ces deux méthodes de travail.

Dancefloor de Michèle Murray © Laurent Philippe
Dancefloor de Michèle Murray © Laurent Philippe

Michèle Murray : Plutôt que de rajouter du temps à la fin, ce qui n’aurait pas eu de sens en soi, j’ai préféré étoffer les différents tableaux qui composent cette création,  en partant notamment des motifs que nous avons travaillés avec les danseuses et danseurs. L’avantage, c’est que ce matériel peut se développer à l’infini. Ce qui m’a plu, ensuite, c’est de permettre à chaque interprète de construire sa propre partition à partir des différents modules que je leur avais donnés. C’est un peu comme un alphabet : après, c’est à eux de s’exprimer avec.

Michèle Murray : Depuis plusieurs années, je développe un double axe de travail, un pour la scène, l’autre pour des espaces muséaux. En 2021, j’ai été invitée pour une très longue résidence dans un musée en Allemagne. Cela demande de changer son approche créatrice. C’est un endroit où j’ai aimé me déplacer, car cela oblige vraiment à imaginer des formes différentes. Il faut s’adapter au lieu. Ce qui m’a particulièrement marqué dans ces deux manières de travailler, c’est la notion du temps. Cela a donc été mon point de départ pour cette nouvelle pièce, d’autant que j’avais envie d’écrire autour du temps passé ensemble, de la confrontation avec le public, du lien qui se crée lors des répétitions avec les artistes, etc. 

Michèle Murray : En effet. Ils sont sept au plateau et nous avons traversé ensemble plusieurs pièces, dont Duos, collisions et combustions. Nous avions des expériences communes à partager, lesquelles irriguent, je crois, cette nouvelle création. Surtout, je travaille pour la première fois avec le pianiste et compositeur Benjamin Gibert pour la musique. Il est très à l’écoute, d’autant qu’il n’est pas avec nous pendant les répétitions. Pour Time, j’avais envie de partir de l’univers du piano pour intégrer ensuite d’autres instruments. Après avoir beaucoup travaillé avec un son saturé dans mes dernières pièces, je voulais quelque chose de plus épuré, où le silence a un rôle important à jouer. A l’instar de Merce Cunningham, j’aime bien l’idée que musique et danse ne soient pas forcément liées, mais que parfois, il y ait des convergences.


Time de Michèle Murray
création le 14 juin 2024 dans le cadre du Festival Tours d’Horizons
CCN de Tours
47, rue du Sergent Leclerc
37000 Tours

Concept, chorégraphie de Michèle Murray
Collaboration artistique de Maya Brosch
Création, interprétation – Alexandre Bachelard, Léo Gras, Vivien Kovarbasic, Baptiste Ménard, Manuel Molino, Léa Vinette, Julien-Henri Vu Van Dung
Costumes de Maya Brosch & Michèle Murray
Création musicale de Benjamin Gibert
Lumière de Catherine Noden

Dancefloor de Michèle Murray 
Création en avril 2023 pour le CCN-Ballet de Lorraine

Recréation
Les 2 & 3 juillet 2024 au Théâtre de l’Agora dans le cadre de Montpellier Danse
Création pour 25 danseurs
Scénographie de Koo Jeong A 
Création sonore de Gerome NOX 
Lumière d’Olivier Bauer
Costumes de Laurence Alquier

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