Quelle est la genèse du projet ?
Mathieu Genet : C’est une commande du Théâtre de Verdure. L’un des nombreux projets du festival consiste à écrire sur le territoire. Il y a eu un premier texte, Petite Histoire secrète du bois de Boulogne d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, qui racontait le lieu, son aménagement et l’arrivée de notre troupe de théâtre. C’était le premier geste d’écriture sur le territoire, une façon de comprendre où on était et aussi de rencontrer les jardiniers et jardinières du Pré Catelan.
Hédi et Lisa [Pajon], qui codirigent du Théâtre de Verdure, m’ont proposé d’écrire un deuxième texte sur le sujet et la thématique que je voulais. La seule contrainte était le lien avec le territoire. Après un travail préparatoire d’enquête, les JO arrivant à grands pas, j’ai cherché à découvrir s’il y avait un lien avec le bois de Boulogne. C’est ainsi que je suis tombé sur les Jeux de 1900, la deuxième édition des Jeux olympiques modernes et dont une partie des épreuves d’athlétisme, dont le marathon, se sont déroulées à 200 mètres du théâtre, sur un stade qui s’appelait… le stade de la Croix-Catelan.
Ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est le mal qu’a eu Pierre de Coubertin à asseoir son projet, à convaincre les politiques et sûrement aussi le grand public de l’intérêt de son idée. Face à l’engouement que suscite aujourd’hui Paris 2024, il est amusant de voir qu’au départ, ce n’était pas du tout un projet séduisant. Ce peu d’attrait s’explique notamment du fait qu’en parallèle avait lieu l’Exposition universelle, qui a complètement étouffé le projet de Coubertin. D’autant que le directeur de l’Exposition, Alfred Picard, développait un projet sportif qui a empêché Coubertin de déployer son idée. La formule Jeux olympiques n’apparaîtra d’ailleurs sur aucun document officiel. Cet aspect un peu chaotique m’a attiré. Il s’agit donc de suivre le cheminement et de comprendre les difficultés rencontrées avant que le projet ne soit un succès.
Quelles ont été vos pistes de travail ?
Mathieu Genet : En premier lieu, je dirais l’envie de revenir sur les débuts de l’Olympisme moderne. Je me suis rendu compte par exemple qu’en 1900, les femmes participent aux épreuves pour la première fois. À cette époque, la pudeur les obligeait à porter des tenues qui couvraient tout leur corps, et il était assez impensable de les voir dans l’effort. D’ailleurs, Coubertin, jusqu’à la fin de sa vie, va s’opposer à leur présence — heureusement, il n’a pas eu gain de cause. Puis en feuilletant les archives, j’ai découvert des athlètes comme Alvin Kraenzlein, lequel invente une façon de franchir les haies qui révolutionnera la discipline. C’est aussi à cette période qu’Étienne-Jules Marey et de Georges Demenÿ expérimentent le chronophotographe, cet d’appareil de capture qui décompose le mouvement.
Enfin, quand j’ai découvert les archives du marathon, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose de théâtral. C’est une course improbable par rapport à ce qu’on connaît aujourd’hui. Du fait qu’elle soit organisée au dernier moment, les coureurs ne connaissaient pas le parcours, la circulation n’était pas arrêtée, etc. Il est donc à peu près sûr que tous n’ont pas couru la même distance. Cela a généré de nombreuses anecdotes vraiment drôles. Les raconter, c’est aussi un plaisir pour le théâtre.
S’inscrire dans l’Olympiade culturelle, quel sens cela a pour vous ?
Mathieu Genet : Les Jeux olympiques sont le seul évènement sportif à proposer un lien avec la culture. Je trouve très riche qu’on questionne cet endroit, le lien de l’art au sport. Il se trouve que dans ma pratique du théâtre, ce lien est évident. Dire un texte, faire exister une situation passe, pour moi, par un engagement physique important. L’envie d’élaborer ce projet et de participer à ces olympiades culturelles vient sans doute aussi de là.
Quel message souhaitez-vous transmettre à travers ce spectacle ?
Mathieu Genet : Au-delà de raconter cette Olympiade méconnue, je crois que le texte est parcouru par une quête : celle du geste sportif ou du secret de l’élan ! D’où vient exactement ce besoin de se mettre en mouvement, de battre des records, de se mettre en compétition les uns les autres ? Dans le texte, on trouve peut-être quelques éléments de réponse, mais ce qui m’a plu, c’est de creuser cette question et de voir toutes les autres interrogations qu’elle engendre.
Avec tout ce qui se passe aujourd’hui autour des Jeux olympiques, on peut se demander si on peut encore parler de “jeu”. Est-ce que les athlètes viennent jouer, ou viennent-ils juste pour gagner ? Ma référence là-dessus a été Philippe Descola. Il a écrit un petit livre intitulé Le sport est-il encore un jeu ? Évidemment, lui en parle de façon hyper précise. Dans les grandes lignes, il explique que dans de nombreuses sociétés, l’esprit de compétition n’existe pas : cette notion est finalement assez occidentale.
Vous créez au Théâtre de Verdure, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Mathieu Genet : Je participe à l’aventure depuis que Lisa et Hédi ont repris le lieu. Ce travail s’inscrit dans une continuité. Au-delà des Jeux oubliés, je trouve leur projet vraiment riche. Ils sont en train d’inventer quelque chose d’intéressant, de différent. Participer à l’invention d’un lieu, d’un festival, c’est passionnant et très formateur. Et puis, évidemment, créer en plein air, dans ce jardin, est un acte particulier. On travaille dans un cadre très beau, qui a aussi certaines contraintes. On est soumis aux intempéries et parfois à l’activité du jardin qu’on ne peut pas toujours anticiper. L’acte de création ne peut être entièrement maîtrisé, et ça aussi, c’est passionnant et formateur. C’est finalement assez sportif, et ça rejoint un peu le thème de notre projet !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Jeux oubliés de Mathieu Genet
Théâtre de Verdure
Allée de la Reine Marguerite
Route de Suresnes Le Pré Catelan
Bois de Boulogne
75016 Paris
jusqu’au 21 septembre 2024
Mise en scène de Mathieu Genet
Chorégraphie de Marie Bonnet
Avec Jonathan Genet, Noa Landon, Fleur Sulmont et Alexandre Théry
Créateur son – Nicolas Delbart