La tradition catholique imposée par les colons européens a durablement bouleversé leurs existences, mais les Muxes représentent une composante intégrante du peuple zapotèque depuis l’époque précolombienne. On pourra les définir avec les termes qui régissent nos propres conceptions du genre, mais ceux-ci, historiquement, y échappent. À l’instar d’autres groupes bispirituels autochtones à travers l’Amérique, les Muxes naissent dans des corps masculins, mais leur homosexualité leur confère un rôle social à part chez les Zapotèques, endossant des fonctions réservées ailleurs aux femmes.
Lukas Avendaño est l’un de ces Muxes d’aujourd’hui, se présentant au monde avec des vêtements féminins, défiant une société catholique qui les rejette à mesure qu’ils revendiquent leur visibilité — un enjeu croissant dans une époque qui pose plus fort la question queer. Il est aussi chercheur et performeur, et porte sur les planches internationales la subjectivité muxe, comme dans ce Réquiem para un alcaraván programmé dans les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis, qui le voit pénétrer le plateau du théâtre de la Commune sous un voile de mariée qui laisse deviner son torse nu.
La tendresse et la mort
En forme de rituel partagé avec le public, cette performance d’une petite heure met du temps à vraiment démarrer, voyant Lukas Avendaño, après sa procession en mariée, épétaler des roses rouges et mimer un cœur avec l’une d’entre elles. Plus tard, il caressera la joue des spectateurs au premier rang des gradins avant de délivrer des bribes d’anecdotes autobiographiques et un passage de Nora, pièce en un acte de l’auteur mexicain Emilio Carballido. Et peu à peu, le rituel collectif prend forme : le performeur invite un membre du public à prendre place sur scène, et bientôt, les gradins entiers tiennent les bouts de rubans colorés attachés à une croix. L’artiste se met à danser dessous, alors que dans les hauts-parleurs, des airs du folklore mexicain résonnent, qui s’enchaînent tout du long du spectacle.
Ces moments pleins de vie cohabitent avec des images de mort esquissées, rappelant les violences subies par les peuples indigènes d’Amériques, et a fortiori de cette minorité de genre. Portée par un Avendaño gracieux, capable à lui seul de cueillir le public pour créer du commun, ce Requiem manque d’un vrai nerf dramaturgique pour amener le public au-delà de son acte politique premier, essentiel au risque d’être limitant : partager, une heure durant, l’espace subjectif d’une minorité que la colonisation a effacée, mais dont l’existence est en mesure de bouleverser nos propres catégories.
Samuel Gleyze-Esteban
Réquiem para un alcaraván de Lukas Avendaño
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis
Théâtre de la Commune – CDN d’Aubervilliers
2 Rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers
Le 11 juin 2024
Durée 50 min.
Performance de Lukas Avendaño
Costumes d’Irene Martínez Antonio, Mary Cristóbal Lobo, Wendy San Blas, Gilberto Mtz. Fabián (Dxi Laani), José Ángel Gallegos Sánchez
Étendard – Mariano Toledo Valdivieso
Musique originale « Medio Xhiga » et « Diana Tradicional Istmeña » de Dominio Público / « Bitopa zuu’do » de Atilano Morales / « Gube II » de Atilano Morales / « Carreta Guie´» et « Fandango Tehuano » de Dominio Público / « Bere lele atribuido a Cenobio » de López Lena / « Marcha fúnebre » de Atilano Morales
Textes Nora, (1980) / Lukas Avendaño