Une distance s’impose d’elle-même lorsqu’il s’agit d’aborder, aujourd’hui, Liliom ou la vie et mort d’un vaurien. Plus d’un siècle sépare l’écriture de cette pièce par l’auteur hongrois Ferenc Molnár de la version proposée ici par Myriam Muller. Cent ans qui ont radicalement transformé la société et les regards. Ainsi le personnage de Liliom, bandit invétéré et violenteur récidiviste envers les femmes, apparaît-il d’emblée particulièrement détestable aux yeux d’un public post-#MeToo, lequel voudrait sans doute voler au secours de Julie, bonne sans le sou tombée éperdument amoureuse de cet homme. En dépit des avertissements, la jeune femme s’en éprend aveuglément, ce qui la mène irrémédiablement vers l’attendu : les coups, la souffrance, le déni et une vie hantée par cet homme qu’elle ne cessera pourtant jamais d’aimer.
L’histoire a évidemment de quoi faire grincer des dents en 2024, notamment au regard de l’empathie que le texte original cherche à provoquer en direction de l’agresseur. Mais la lecture proposée par Myriam Muller refuse de suivre cette voie et développe, dans une approche qui emprunte au théâtre forain, une fable venue d’une autre ère. Comme entassés au fond d’une malle oubliée dans un grenier à la faveur de l’étonnante scénographie de Christian Klein, les personnages apparaissent empoussiérés. Toujours vêtus des costumes de ce temps révolu, ils semblent condamnés à rejouer inlassablement les mêmes rôles, dès lors que s’ouvrira la boîte à musique qui leur sert de refuge.
Cette version de Liliom ou la vie et mort d’un vaurien s’appréhende finalement comme un conte que l’on réciterait aux générations futures en leur disant “Voilà comment c’était, avant”. En travaillant ses personnages sans crainte de la caricature (bien que certains manquent encore de profondeur), Myriam Muller nous embarque dans une plaisante parenthèse. La metteuse en scène compose ainsi une création qui s’autorise, par le prisme de la féérie, un récit particulièrement délicat à porter à notre époque.
Peter Avondo
Liliom ou la vie et mort d’un vaurien par Myriam Muller
Le Kiasma (Castelnau-le-Lez) – Printemps des Comédiens
Durée 1h40
Du 12 au 14 juin 2024 : Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing-Hauts-de-France
Du 19 au 21 juin 2024 : Théâtres de la Ville de Luxembourg
Avec : Mathieu Besnard, Sophie Mousel, Isabelle Bonillo, Manon Raffaelli, Raoul Schlechter, Jules Werner, Valéry Plancke, Jorge De Moura, Rhiannon Morgan, Clara Orban, Catherine Mestoussis
Adaptation et mise en scène : Myriam Muller
Scénographie : Christian Klein
Costumes : Sophie Van den Keybus
Lumières : Renaud Ceulemans
Vidéos : Emeric Adrian
Direction musicale : Jorge De Moura et Jules Werner
Création sonore : Patrick Floener
Assistant à la mise en scène : Antoine Colla
Couture : Manuela Giacometti
Habillage : Anna Bonelli et Fabiola Parra
Maquillage : Joël Seiller et Laurence Thomann
Accessoires : Marko Mladenovic