Laurence de Magalhes et Stéphane Ricordel © William Beaucardet
Laurence de Magalhes et Stéphane Ricordel © William Beaucardet

Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, un duo de choc à la tête du Rond-Point

Installés depuis un an à quelques mètres des Champs-Élysées, les codirecteurs ont pris leurs marques et dévoilent une deuxième saison plus personnelle, mais tout aussi pluridisciplinaire et éclectique. 

Laurence de Magalhaes : C’est une toute nouvelle histoire, un commencement. À chaque aventure à laquelle nous avons participé, que ce soit les Arts Sauts, le Monfort ou le festival Paris l’été, nous avons pris le temps de construire quelque chose de solide au long cours, qui nous correspond intrinsèquement. Quand nous avons été nommés pour succéder à Jean-Michel Ribes, tout le monde nous a dit : vous vous rendez compte, c’est le Rond-Point, sur les Champs… Et finalement, chaque jour, je mesure notre chance d’être dans un lieu qu’on aime, dans lequel nous nous sommes tout suite sentis chez nous. Évidemment, nous étions déjà venus de nombreuses fois voir des spectacles, et à chaque fois ce qui ressortait était la convivialité de ce lieu situé au cœur de Paris mais entouré de verdure, sa vitalité, sa capacité à se réinventer. Que ce soit les équipes, qui sont formidables, ou les publics, il y a ici quelque chose de simple, de naturel et de festif, qui répond à nos appétences, à notre envie d’aller de l’avant. 

Le théâtre du Rond-Point © Christophe Raynaud de Lage
L’entrée du théâtre du Rond-Point © Christophe Raynaud de Lage

Stéphane Ricordel : Naturellement. Au début, nous avons jeté quelques bases, nous avons posé quelques lignes. Quand nous avons rencontré les équipes, nous leur avions averti qu’il faudrait entre deux et trois ans pour que le projet que nous portions prennent forme. Contre toute attente, il est déjà visible. Avec rapidité et enthousiasme, tout le monde s’est adapté pour que cela fonctionne. On affiche déjà complet, bien que nous ayons un peu modifié la ligne artistique. Si le Rond-Point garde son ADN, celui d’une programmation pluridisciplinaire qui fait la part belle aux auteurs vivants, nous y avons ajouté notre touche personnelle, riches de notre expérience. 

Laurence de Magalhaes : C’est assez fou, mais le constat est clair : le public de Jean-Michel s’est mélangé avec le nôtre, mais aussi avec ceux des artistes. Une vraie mixité s’est opérée. Je crois que c’est très fortement lié à l’essence de ce lieu, à son identité forte que nous avons su apprivoiser et à laquelle nous avons donné d’autres couleurs, sans pourtant effacer celle qu’il y avait avant. Tout s’est fait avec beaucoup d’évidence. Contrairement au Monfort, où, quand nous sommes arrivés en 2009, il a fallu tout reconstruire, aller à la rencontre des publics, ici, une grosse partie du travail est déjà fait. Le lieu existe, il a un passif, une histoire. En tant que passeurs, nous tentons ensuite d’y apporter notre patte. Mais tu ne peux pas savoir si la greffe va prendre, si ton projet va séduire. La première année, tu poses les premières pierres : tu expérimentes avec quelques valeurs sûres et d’autres, un peu moins attendues, qui te ressemblent un peu plus. On a eu la chance que cela prenne tout de suite. C’est notamment dû aux équipes. Cela nous permet de lancer une deuxième année différente, qui tend un peu plus vers ce que l’on souhaite mettre en place ici. Les fondations sont solides, on va pouvoir être un peu plus fous et tenter des expériences. 

40° sous zéro d'après Copi - Munstrum théâtre © Darek Szuster
40° sous zéro du Munstrum théâtre © Darek Szuster

Laurence de Magalhaes : C’est palpable. Le public a clairement pris un coup de jeunes. Il s’est renouvelé, sans pour autant que les spectateurs qui venaient du temps de Jean-Michel aient déserté. 

Stéphane Ricordel : La billetterie nous a aussi permis de confirmer cette intuition. Au début de la saison, les abonnés avaient pris un peu moins de spectacles qu’à l’accoutumé. Ils étaient inquiets. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le théâtre marche à plein régime.

Laurence de Magalhaes : Le soir, nous sommes souvent là. Nous reconnaissons une partie du public qu’on avait l’habitude de croiser au Monfort. Et puis sur des spectacles comme ceux de Lucas Samain ou du Munstrum, c’est encore d’autres spectateurs que nous découvrions, assez jeunes — entre dix-huit et trente-cinq ans pour la plupart. C’est très vivifiant et enthousiasmant. Nous avons aussi des familles qui viennent pour les spectacles tout public. Il y en a pour tous les âges et pour tous les goûts, et cela témoigne d’une certaine vitalité des arts vivants. 

Stéphane Ricordel : On ne s’attendait pas à dépasser aussi rapidement nos objectifs. Nous avions certes quelques ambitions, mais nous les avions souhaitées plutôt raisonnables au vu du contexte actuel, tant économique, politique que social. Ce que nous pensions réaliser en deux ans, nous l’avons finalement en une saison. 

Laurence de Magalhaes : On est d’autant plus agréablement surpris que ces dernières années, le public s’était un peu érodé. Les raisons étaient multiples, et la crise du Covid n’a pas aidé. Pour nous, c’était plutôt intéressant : on avait un peu de marge pour réinventer quelque chose, pour raviver la flamme des spectateurs. Et comme de nombreux lieux, nous avons constaté, depuis un an, l’engouement renouvelé du public pour le spectacle vivant. Le seul point noir, c’est le bar et le restaurant. Nous sommes allés vers quelque chose qui ne nous ressemblait pas. Cela n’a pas marché, mais cela nous a permis de remettre les choses à plat, de vraiment réfléchir à ce que nous voulions vraiment. Dès la rentrée, tout va changer, et nous sommes très contents du choix que nous avons fait : un lieu convivial et chaleureux, une cuisine composée de produits locaux et du snacking pour grignoter rapidement.

Fuck me de Marina Otero © Maca de Noia
Fuck me de Marina Otero © Maca de Noia

Laurence de Magalhaes : Nous voulions d’abord ramener l’international sur les plateaux. Après des années Covid qui ont mis un frein à pas mal de déplacements, avec les conflits qui explosent un peu partout et la situation qui se tend, on s’est dit qu’il fallait absolument que l’on puisse présenter tant que cela est possible faire venir des artistes qui nous tiennent à cœur. C’est aussi pour nous une manière de côtoyer des cultures différentes. Ensuite, même si en raison de la réalité économique et des coupes budgétaires que subit le secteur, nous souhaitons qu’il y ait du monde au plateau. Puis avec Stéphane, nous travaillons à l’instinct, donc il était essentiel que nous présentions nos coups de cœur et des artistes avec lesquelles nous avons affinité et fidélité. C’est le cas par exemple Marina Otero, que nous avions accueillis dans le cadre de Paris l’été et qui va ouvrir la saison avec son triptyque : Fuck meLove me et Kill me, qui va être crée le 4 juin à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon dans le cadre du Printemps des Comédiens. 

Stéphane Ricordel : Il nous tenait à cœur de présenter sa nouvelle création, mais aussi de présenter ses deux autres spectacles qui n’avaient eu que quelques dates à Paris et qui pouvaient encore rencontrer de nouveaux publics et avoir un peu plus de visibilité. Et puis, il y a du sens à proposer de découvrir l’univers d’un artiste ou d’une compagnie à travers plusieurs œuvres, comme on l’a fait pour le Munstrum cette année. Ce qui nous intéresse aussi, c’est de continuer à suivre des auteurs, autrices, des metteurs ou metteuses en scène qui ont marqué le lieu, comme Pippo Delbono cette saison ou Emma Dante l’an passé.

Laurence de Magalhaes : Oui, quand nous estimons qu’un spectacle n’a pas forcément eu la visibilité qu’il méritait, il nous semble normal de le programmer, comme c’est le cas pour Le Firmament de Chloé Dabert ou Neandertal de David Geselson, qui est passé uniquement au TGP. C’est d’autant plus important dans le contexte actuel d’aider à la diffusion, de faire en sorte que les spectacles aient une vie plus longue. En tant que directeurs, il relève de notre responsabilité d’enrayer la surconsommation, la surproduction. Cette course effrénée est ridicule. Nous devons, nous les premiers, repenser les modèles, changer les paradigmes. L’idée de répertoire a du sens, même dans une maison qui tient à cœur de mettre en lumières les auteurs d’aujourd’hui.

Mothers, a Song for Wartime de Marta Górnicka © Bartek Warzecha
Mothers, a Song for Wartime de Marta Górnicka © Bartek Warzecha

Laurence de Magalhaes : Le théâtre est une caisse résonance du monde qui nous entoure. Il est donc logique que certaines thématiques actuelles soient plus présentes que d’autres au plateau, comme la guerre avec Mothers, a song for wartime de Marta Górnika, le capitalisme, le travail ouvrier ou la prison avec Quartier de femmes de Mohamed Bourouissa. Mais souvent, tous ces sujets graves, qui font écho à nos préoccupations, sont traités avec plus de distance. Il peut même y avoir de l’humour, un certain recul, pour que l’horreur soit regardable. Mais ce qui nous guide avant tout, c’est notre instinct dans la rencontre. On ne pourrait pas programmer un sujet qui nous tient à cœur si nous n’avons pas eu de feeling avec l’artiste qui porte le projetEt puis avec Stéphane, on ne se refuse rien. Si un spectacle nous plaît, si l’un de nous a un coup de cœur, on est capable de tout pour le programmer. On trouve toujours des solutions pour que cela soit possible sans mettre en danger la structure. Il est essentiel de se faire confiance et tenter des choses qui sortent de l’ordinaire. L’important, c’est d’y croire.

Stéphane Ricordel : Cela fait partie des retours que l’on a eu du public. Il y a une vraie appétence, une vraie curiosité pour des spectacles ou des performances qui sortent de l’ordinaire. Et puis, on le voit, la plupart des spectacles aujourd’hui sont souvent hybrides et font appel à plusieurs arts. Proposer du cirque, de la danse, du théâtre d’objets ou de masques, cela donne au lieu une richesse qui nous semble aller de soi et qui correspond aussi à ce que nous sommes. 


Théâtre du Rond-Point
2 bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris

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