Taillerie – Atelier du verre froid (2), 2022, courtesy de l’artiste © Patrick Faigenbaum
Taillerie – Atelier du verre froid (2), 2022, courtesy de l’artiste © Patrick Faigenbaum

La cristallerie Saint-Louis, le photographe Patrick Faigenbaum joue avec la mémoire du cristal

La Manufacture de la cristallerie de Saint-Louis est royale et sublime. Le photographe a passé deux ans à documenter les gestes des artisans et à prendre en flagrant délit de beauté leurs œuvres.

Terre, sable, feu, fusion, couleurs, paysage, alchimie, Lorraine…cristal. Royalement beau. Les mots ici disent la beauté des gestes, la danse du feu qui sculpte la matière d’une future pièce extraordinaire, transparente ou de couleurs surnaturelles, ce rouge rubis, ce bleu profond, ce vert aux reflets forts et sombres. Ici, se joue la transmutation, le passage d’un état à un autre. L’alchimie. Mot magique. 

Creusets destinés à recevoir les composants du cristal pour porter la matière à fusion, 2022, courtesy de l’artiste © Patrick Faigenbaum
Creusets destinés à recevoir les composants du cristal pour porter la matière à fusion, 2022, courtesy de l’artiste © Patrick Faigenbaum

Dans ces Vosges, le paysage est faussement sage, avec ces montagnes qui se prêtent à mille mystères, des arbres qui charment comme des fées, semblant se refermer en barrières, ces longs arbres qui s’élèvent ailleurs, là où nous, humains, n’avons pas prise. Et se niche là une place-forte, Saint-Louis-lès-Bitche, où depuis 1586 vit l’esprit de la Fondation de la Verrerie de Müntzhal, où déjà les fours verriers, le façonnage d’un objet et le soufflage dans un moule avaient cours. Saint-Louis est devenue royale par la volonté du roi Louis XV deux siècles plus tard, et vingt ans après ce sceau en 1781, le miracle advint : la Verrerie royale de Saint-Louis découvrait la formule du cristal. Et en 1837, l’arrivée de la couleur changea encore la donne. 

Quelques centaines d’années ont passé, et l’enchantement dure encore. Bien sûr, la beauté et le geste artistique sont des philtres si puissants qu’on a peine à traduire ce que l’on ressent, lorsque devant nous trône un (verre) Trianon tout en majesté de 1834, toujours au catalogue aujourd’hui, ou bien sûr un Tommy, pièce iconique depuis 1928. Transparence, couleurs, chaleur, froid, facettes, reflets… Voici des évocations qui parlent à l’imaginaire d’un artiste : et Saint-Louis invita Patrick Faigenbaum à venir ici en 2022 pour un travail documentaire. 

© Patrick Faigenbaum
© Patrick Faigenbaum

Ce travail est désormais exposé au musée. Surprise, ce musée fait un petit clin d’œil au Guggenheim new-yorkais : évidé en son centre pour laisser place à un lustre gigantesque, il se découvre en gravissant sa pente, et tout autour, des parois, des vitrines qui dévoilent les collections, les services d’anthologie, les pièces rares et les photographies de Faigenbaum. Voici les artisans et leurs œuvres, comme des brins de mémoire. Passé, présent, le temps. Ceux et celles qui œuvrent ne se laissent guère distraire par les visiteurs intrigués par leur maîtrise. Comment font-ils pour ne pas se brûler ceux qui manient l’impossible et réchauffent le cristal au bout de leur canne sans tressaillir jamais ? Comment savent-ils si le col d’un vase ou d’un flacon a atteint le juste degré du feu ? « Ils le savent. La matière doit être maintenue à une température élevée pour ne pas se figer », nous répond avec un sourire la jeune guide, incollable sur l’histoire Saint-Louis. 

Et là comment, cette « choisisseuse » -c’est son titre- repère-t-elle le défaut et mettre à l’écart ce verre qui nous semble parfait ? « Elle le repère ».  Même sourire. Et ici ce pinceau, comment le poser sur ces frises délicates ? Et encore à quoi servent ces grands pots ? « À recevoir les compositions du cristal de couleur. Ils sont façonnés manuellement en terre réfractaire, un savoir-faire très rare, depuis quatre cents ans. Après une semaine de fabrication et deux ans de séchage, ces creusets, ne vivront pourtant que trois mois au contact du feu. » On voudrait s’attarder avec l’experte des « Presse papiers », car Saint-Louis est la dernière manufacture de cristal à en réaliser encore, de ces drôles de « mondes dans la main ». 

© Patrick Faigenbaum
© Patrick Faigenbaum

Le photographe est revenu à plusieurs reprises, pour saisir ce monde au langage, aux métiers, aux connaissances inconnues. Il a accepté « d’être perdu », puis a aiguisé son regard, s’est arrêté longuement devant chaque poste et a déclenché le mouvement pour capter quasiment l’impossible, par exemple la poésie des fameux Tommy, disposés comme à la parade dans une subtile poudre de poussière.

D’ailleurs, ces verres, du nom qu’on donnait aux soldats britanniques lors de la Grande Guerre, ont une signification particulière pour le photographe, un souvenir familial s’accroche à ces cristaux qui hypnotisent : « ma tante possédait un service multicolore de ces verres, à vin blanc, des « roemers », qui m’ont fasciné toute mon enfance et ce qu’ils représentent n’a pas de prix pour moi. Elle me les a donnés. ». C’est une partie de sa mémoire, un fil qu’il trace et dépose là, entre les ateliers ou la poussière s’élève en volutes et ou le chaud fait vivre le froid, un peu comme avec l’image qui capte et révèle ce qu’on ne savait pas toujours, pas encore. 

Ce que Patrick Faigenbaum a découvert en lui lors de cette recherche d’un temps un peu perdu, il ne le dira pas, il a laissé son regard travailler. Son commissaire d’exposition et complice de longue date, Jean-François Chevrier donne quelques clefs sur son travail : « depuis ses débuts, il y a plus de quarante ans, Patrick Faigenbaum combine dans ses photographies approche documentaire et travail de la vision. Il s’appuie sur une grande familiarité avec l’histoire de la peinture : soit l’art, par excellence, de la composition. À la cristallerie Saint-Louis, il a été frappé par les possibilités qu’offre la profusion lumineuse et colorée du cristal ouvragé, mais aussi par la précision des gestes et postures des artisans. Les objets eux-mêmes, dans leur accumulation et leur disposition sur les lieux d’archivage, constituent un monde analogue au paysage. L’artiste photographe s’est saisi du pouvoir d’enchantement du cristal tout en accordant l’attention nécessaire au travail des ateliers.» 

Jean-François Chevrier lui-même parle de la difficulté que fut pour lui de trouver le juste accrochage : « impossible de le faire aux murs… puisqu’il n’y a pas de murs dans ce musée particulier. J’ai choisi de faire apparaître les photos, à travers les vitres, de jouer sur les nuances de ces apparitions, de ces témoignages de mémoire. »


Patrick Faigenbaum à la cristallerie Saint-Louis
Exposition du 11 juin au 29 décembre 2024
La Grande Place, musée Saint-Louis
Rue Coëtlosquet
57620 Saint-Louis-lès-Bitche
Accès tous les jours (sauf les lundis et le 25 décembre), de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com