Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?
Eugen Jebeleanu : J’ai commencé la danse à l’âge de cinq ans, après avoir assisté aux cours que prenait mon grand frère. Assis sur un banc de cette salle de sport à Timisoara, l’un des centres culturels et artistiques les plus dynamiques de Roumanie, je regardais les danseurs et un jour la prof m’a invité à les rejoindre sur le parquet. C’est là que tout a commencé.
Comment est née l’idée de raconter ce parcours intime au plateau ?
Eugen Jebeleanu : Ça fait plusieurs années que je travaille sur des projets où l’intime croise le politique. Avec ce projet, je voulais faire un deuil, trouver une réconciliation dans la danse, et rendre ainsi une sorte d’hommage à cette discipline qui m’a construit. Quand le centre de théâtre éducatif Replika de Bucarest m’a invité pour une carte blanche, j’ai souhaité mettre en scène la pression dans le monde du sport pour les enfants et adolescents qui pensent gagner l’amour de leurs parents en ramenant la médaille à la maison.
Pourquoi c’était important, pour vous, de mettre en lumière cette pratique de danse sportive ?
Eugen Jebeleanu : La danse sportive est une discipline encore peu connue en France mais de plus en plus pratiquée en Roumanie. C’est un mélange de sport et d’art, et je crois qu’au-delà de quelques stéréotypes, c’est une pratique qui libère le corps et qui fait sortir des carcans de la danse classique.
Qu’est-ce qu’elle raconte de votre pays ?
Eugen Jebeleanu : La danse sportive est apparue en Roumanie après la révolution de 1989 et raconte ce changement de paradigme, le besoin de libération des corps, l’envie de voyager. Ça fait partie de la transition du pays de la dictature à la démocratie. La Roumanie est aujourd’hui le troisième pays au monde en termes de résultats en compétition dans cette discipline.
Comment avez-vous construit votre spectacle ?
Eugen Jebeleanu : J’ai démarré par une structure en dix chapitres, comme les dix danses réglementaires de la danse sportive, et j’ai choisi dans chaque chapitre de raconter un événement important de ma vie, d’aborder une thématique ou d’analyser un sujet. J’ai choisi de faire un témoignage à la fois public sur ma vie intime, mais aussi un dialogue avec mon père absent — des passages gardés en roumain dans la version française du spectacle. Je voulais avoir avec moi au plateau un couple de danseurs pour faire la démonstration pratique de cette discipline et amener au plateau d’autres regards : le point de vue de ces deux professionnels sur la danse sportive.
Vos parents sont très présents dans votre récit. Que représentent-ils pour vous ?
Eugen Jebeleanu : Je crois que j’ai pratiqué la danse sportive pour mes parents, pour les rendre fiers et heureux. Mon père est décédé quand j’avais quinze ans. C’est à ce moment-là que j’ai arrêté la danse. C’était trop lié à lui, et trop dur pour moi de continuer. Même s’ils avaient des professions qui n’avaient rien à voir avec l’art ou le sport, ils se sont investis énormément dans la formation de mon frère et moi. Ils ont construit une salle d’entraînement pour nous, organisé des compétitions, etc. Tout ça pour le bonheur de la médaille que ramenait l’enfant alors champion que j’étais.
Comment s’est fait le choix des danseurs qui vous accompagnent ?
Eugen Jebeleanu : C’est mon frère, professeur de danse, toujours dans ce milieu donc, qui m’a présenté Laura et Stefan, deux merveilleux danseurs. Je suis très content qu’ils fassent partie du projet. J’ai eu aussi la chance de jouer le spectacle en alternance avec un autre couple de danseurs, les élèves de Laura et Stefan, qui eux viennent avec le regard d’une génération plus jeune. Ça apporte une couleur très intéressante au spectacle, car leurs perspectives sont différentes.
Comment regardez-vous aujourd’hui cette période de votre vie ?
Eugen Jebeleanu : J’ai réussi à me réconcilier avec cette discipline et j’ai retrouvé le plaisir de danser sans la pression de la performance. Je suis en paix aujourd’hui avec le passé, j’ai gardé les bons souvenirs et j’ai de la tendresse pour ces années-là.
Qu’est-ce qui a remplacé la danse dans votre vie ?
Eugen Jebeleanu : Évidement, le théâtre. J’ai commencé à jouer assez jeune en Roumanie et rapidement c’est devenu ma passion. Je suis heureux aussi de pouvoir porter aujourd’hui au théâtre cette histoire sur la danse. Je vais aussi la faire entendre au cinéma ; c’est l’inspiration de mon futur projet de long-métrage.
Quels sont donc vos prochains projets ?
Eugen Jebeleanu : J’ai beaucoup de spectacles à créer en Roumanie. En ce moment même, je finis la création de Théorème de Pasolini au Théâtre National de Sibiu. J’ai mon deuxième long-métrage, Intérieur zéro, qui sortira bientôt en festivals et en salles. Et une nouvelle création en France, en cours de développement, avec la Cie des Ogres et Yann Verburgh.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le prix de l’or d’Eugen Jebeleanu
Vu le 22 janvier 2024 à la Maison de la culture d’Amiens
Durée 1h15 environ
Reprise
5 et 6 juin 2024 au Théâtre de Vanves
Du 10 au 20 juin à Théâtre ouvert, Paris, dans le cadre de l’Olympiade culturelle
Mise en scène d’Eugen Jebeleanu assisté d’Ugo Léonard
Avec Eugen Jebeleanu, Stefan Grigore, Laura Grigore
Collaboration artistique Yann Verburgh
Chorégraphie Stefan Grigore, Laura Grigore
Consultation dramaturgique Mihaela Michailov
Scénographie Vélica Panduru
Conception vidéo Elena Gageanu
Création lumière Sébastien Lemarchand