Anda, Diana est un spectacle autobiographique. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet particulier ?
Diana Niepce : Il est né suite à l’écriture d’un livre que j’ai également publié au moment où le spectacle a été présenté pour la première fois. C’est un spectacle qui a remporté le prix de la Société portugaise des auteurs dans la catégorie meilleure chorégraphie. J’y raconte des situations de la vie quotidienne après mon accident, d’une façon très sarcastique et crue. Quand j’ai voulu en faire récit sur scène, je ne souhaitais pas faire la même chose. Je ne voulais pas raconter cette histoire en tant que telle, je voulais que le corps devienne une expérience, et que le public puisse percevoir au plus près ce que je ressens, presque comme un jeu. Je travaille aussi autour de la perception et des pratiques violentes.
Suite à un accident qui vous a causé une lésion de moelle épinière. Vous avez dû vous reconstruire. Pourquoi était-il important, pour vous, de passer le plateau ?
Diana Niepce : J’ai toujours été danseuse, alors bien sûr qu’il était important pour moi de remonter immédiatement sur scène pour continuer à faire ce que j’ai toujours fait. Il était important, également, de reconfigurer l’esprit des artistes performeureuses, lesquels sont très validistes dans leur façon de percevoir les corps handicapés et les corps non-normatifs. Il en va de même pour le regard que porte la société sur ces mêmes corps. C’est donc absolument urgent et important, car ça leur permet de leur donner de la voix une fois sur scène. Mais ça l’est aussi dans un souci de représentation : sentir que l’on n’est pas seule au monde, c’est primordial.
Comment votre perception du corps et du mouvement a évolué ?
Diana Niepce : Ma technique a évolué à travers cette pratique du jeu, mais aussi à partir d’une recherche de compréhension des logiques de la physique qui existent dans le cirque, le butō et la danse. Elle a également évolué via la volonté de démystifier le corps, qui est très souvent incompris, et le corps non-normatif, trop souvent perçu comme héros ou victime. Alors j’essaie de travailler autour des logiques de la physique, mais ma pratique se base également sur la manipulation des corps et s’inspire du butō et du cirque, donc avec cette idée des corps comme extensions les uns des autres.
Le mouvement est créé à partir du corps de l’autre. Comment avez-vous travaillé ?
Diana Niepce : Le mouvement est créé par moi qui dirige les corps de deux performeurs qui m’accompagne au plateau qui sont des extensions de mon enveloppe charnelle. Mon corps est donc inerte, il bouge avec l’aide de mes deux complices. Il n’y a pas qu’un corps sur scène, mais trois. Et lorsqu’enfin ils ne me soutiennent plus, on perçoit le rôle de la pratique de la danse et les secrets du mouvement. C’est une façon empathique de travailler. Ce qui m’intéresse aussi, c’est d’explorer la notion de tension, avec l’idée de créer et générer de l’empathie ou de la tension, et cette relation entre la performance et le public.
Quel message souhaitez faire passer ?
Diana Niepce : Ce qu’il faut retenir de mon travail, et pas uniquement avec cette pièce, c’est que la société est très violente et cruelle. Je travaille autour de ça, et de là, je cherche comment changer les préjugés et la façon on perçoit les corps, la vulnérabilité, la force. Et de quelle manière tout cela peut changer le monde. Il y a également cette pratique de chercher à comprendre comment le corps fonctionne dans un état suspendu, de non-gravité. C’est très important pour moi, et ce depuis toujours.
À travers cette performance, vous posez la question des corps non-normatifs dans le champ des arts. Pourquoi est-il nécessaire, aujourd’hui, d’affirmer les différences ?
Diana Niepce : La présence des corps non-normatifs dans les arts est cruciale, nécessaire et urgente. Cela commence par l’accès de davantage d’artistes au secteur culturel afin de pouvoir donner naissance à leurs propres créations, et afin qu’ils soient moins discriminés par ce secteur. Ils peuvent ainsi faire entendre leur voix. D’autant plus que tout le monde finit par être handicapé, en quelque sorte, en vieillissant, et pour cela, ce sont des situations avec lesquelles les gens devraient être en plus grande empathie. Et puis aussi car nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone et nous méritons d’être traités comme des égaux. Au travers de ces expériences, je sais que la façon dont les gens perçoivent les corps et les gens change. Et c’est important en termes d’éthique, de valeurs, au sein de notre société.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Anda, Diana de Diana Niepce
spectacle présenté le 20 juin 2024
Festival de Marseille
La criée – Théâtre national de Marseille
30 Quai de Rive Neuve
13007 Marseille
durée 50 min
Direction artistique – Diana Niepce
avec Diana Niepce, Bartosz Ostrowski, Joãozinho da Costa
Soutien dramaturgique – Rui Catalão
Création lumière de Carlos Ramos
Conception sonore de Gonçalo Alegria
Conception des costumes de Silvana Ivaldi