L’affaire, tout le monde la connaît. Elle commence en 1984 et reste à ce jour l’un des faits divers les plus marquants de notre époque contemporaine, à tel point que le prénom de ce garçon retrouvé mort dans les eaux de la Vologne est devenu un symbole en soi. Pourtant, dans cette création du By Collectif, pas une seule fois ce nom n’est prononcé. Certes, il sert de titre à cette pièce mise en scène par Delphine Bentolila et son spectre plane partout, autour des personnages au plateau. Mais loin du récit voyeuriste sur une affaire insoluble, Grégory en prend précisément le contrepied : le fait divers devient prétexte à la fresque sociétale qu’il dessine en filigrane.
Après tout, à quoi bon faire un énième récit des faits, suppositions et fantasmes qui ont entouré et entourent toujours la célébrissime affaire du petit Grégory ? Au travers d’une écriture particulièrement fine et intelligente qui s’affranchit des évidences, cette pièce va au-delà du compte-rendu juridique devenu légende pour questionner un certain changement qui s’opère insensiblement dans la société. Ce changement, c’est celui du regard que l’on porte sur un événement qui est encore dans les mains de la justice. C’est celui d’une approche journalistique nouvelle, qui hésite entre la nécessité d’informer et l’appel du sensationnel. En somme, cette affaire, qui a secoué la France entière, est aussi celle qui, pour le By Collectif, se situe à la charnière de deux époques.
En eaux troubles
Dans la salle de rédaction d’un grand quotidien de la presse nationale – appelons-le Libération – se pose la question du rôle de la presse. Plusieurs mois après le début de l’enquête, et alors que la mère de Grégory sort d’un séjour en prison, le comité de rédaction hésite à publier un article signé d’une main peu commune, celle de Marguerite Duras. Problème : ce papier, rédigé par une romancière, accuse ouvertement la mère d’infanticide sans apporter aucune preuve. Récit fictif assumé comme tel ou article de presse dénigrant les principes mêmes de journalisme, voilà le dilemme auquel se confrontent les personnages au plateau. Alternant les confrontations éthiques et les parenthèses presque oniriques qui voudraient pouvoir altérer la réalité, les interprètes portent un travail documentaire qui prend forme dans une délicate théâtralité.
Dans son écriture comme dans sa mise en scène, cette pièce aborde son sujet avec beaucoup de pertinence, assumant son titre comme un symbole se suffisant à lui-même. Ainsi l’interprétation, les lumières, les décors ou les accessoires servent-ils une forme qui suggère habilement plutôt que d’imposer l’évidence. De cette manière, le By Collectif se place à la charnière de deux époques, entre le journalisme et le sensationnel, entre l’information et le divertissement. Ces deux visions, qui apparaissent comme contradictoires, mettent surtout en exergue un état de fait ambivalent. Influenceur aujourd’hui ou journaliste hier, pour continuer son métier en toute indépendance, il faut donner envie, quitte à passer par le spectaculaire.
Pour ce qui est de cette création, en revanche, c’est bien la finesse et le fond qui l’emportent. Avec Grégory, Delphine Bentolila propose aux côtés de ses partenaires du By Collectif une pièce équilibrée à bien des niveaux.
Peter Avondo – envoyé spécial à Toulouse
Grégory par le By Collectif
vu le 17 mai 2024 à l’ Espace Roguet – Toulouse
Durée 1h30
Tournée
Du 2 au 21 juillet à 20H15 au 11 dans le cadre du Festival Off Avignon
Écriture collective dirigée par Delphine Bentolila
Mise en scène Delphine Bentolila
Avec Lucile Barbier, Delphine Bentolila, Nicolas Dandine, Régis Lux, Amandine du Rivau, Laurence Roy et Félix Villemur-Ponselle.
Dramaturgie Delphine Bentolila, Amandine du Rivau
Création Lumière Michaël Harel
Scénographie, accessoires et costumes Nicolas Dandine