Le temps des fins, Guillaume Cayet © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Le temps des fins de Guillaume Cayet : apocalypse à choix multiples

À la Comédie de Valence, l'auteur et metteur en scène s'enfonce dans une forêt de contes peuplée d'être politiques, et donne un souffle mythique aux luttes environnementales.

Grès, la dernière création de Guillaume Cayet, se plaçait dans un moment hyper-situé de l’histoire récente : celui de la naissance des Gilets jaunes. Le temps des fins, créé à la Comédie de Valence en ouverture d’un « parcours à facettes » consacré aux nouvelles formes de résistance, suggère à bien des égards une inflexion dans la trajectoire théâtrale de l’auteur. Les monologues dont il a le secret s’agencent, ici, dans une composition de deux heures et demie s’enfonçant dans les ombres d’une fable sylvestre. Seule la troisième et dernière partie du spectacle, elle-même tripartite, raccroche à un événement de l’actualité — la tempête Gloria, survenue en 2020.

C’est tout aussi progressivement que Le Temps des fins chemine dans le réel, à rebours de l’approche politique directe du précédent opus. Il faut d’abord qu’un étrange visage peint, mi-humain mi-oiseau, s’adresse à nous en vidéo. Surimprimé aux feuilles de la forêt dans un incipit en forme de conte, il délivre le récit de l’homme qui, après avoir appris d’un devin qu’il mourrait au pied d’un arbre, décidait d’abattre tous les troncs du monde. Et à la suite, les actes successifs font chemin, progressivement, du récit allégorique jusqu’à une mise en situation théâtrale plus proche du quotidien servie par les trois comédiens réunis : Marie-Sonha Condé, Vincent Dissez et Mathilde Weil.

Le temps des fins, Guillaume Cayet © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Il suffisait de bien regarder dans le titre pour voir annoncé cet éclatement des apocalypses : ce n’est pas tant une extinction unique vers lequel nous mènerait l’ordre néolibéral du monde qui occupe l’écriture de Cayet. Il s’agit plutôt de la mise en regard poétique de disparitions plus ou moins grandes charriées par cette marche destructrice, avec la forêt pour décor. Il y a d’abord ce chasseur qui vient pleurer la fin des battues et la communion sociale qui l’accompagne (de manière un peu facile, Cayet adosse cette élégie à un fond rapidement signifié de racisme et de machisme). Puis viennent ces zadistes cueillies au moment où la police (les « hommes-ferrailles ») finit de s’approcher, toutes armes dehors, de la zone qu’elles habitent, avec d’autres, d’une utopie politique où la lutte est inséparable de pratiques de la tendresse.

Formellement, Guillaume Cayet cultive à ces endroits une étrangeté opérante, et même si la chape technique (tulle tendue à l’avant-scène, chuchotements au micro) éloigne considérablement le texte, elle propose quelque chose du côté de la mythification du présent. En rendant celui-ci étrange, la pièce effectue une opération dont seule la représentation est capable : sublimer les figures et les mots de ces luttes, non pas pour les muséifier, mais pour leur offrir un renforcement imaginaire.

Le temps des fins, Guillaume Cayet © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

L’abysse de ces bois obscurs finira, dans la troisième partie, par être aplati dans le décor presque réaliste d’une cuisine de classe moyenne. Seul un papier peint décrivant un cerf dans la forêt fait anomalie, offrant au détour d’une scène une image surnaturelle : des cornes au père. Autour de la table, c’est la panique. La tempête Gloria approche. Les panneaux scandent : un mois, une semaine, un jour avant. Le père dernier s’enfonce dans la paranoïa survivaliste. Sa femme, elle, tombe sous l’influence d’une secte qui crie à la fin des temps. Pendant ce temps, la fille, active sur des forums sous le pseudo “Vertederage”, rejoint un vaste mouvement écologiste et prend part à leurs actions de désobéissance civile.

Paradoxalement, cette troisième partie, en se débarrassant de quelques oripeaux, finit par exposer une certaine littéralité dans la représentation, là où l’on attendrait de cette remontée vers le (quasi)présent qu’elle débouche sur une écriture plus agissante. D’autant que le récit, lorsqu’il abandonne le vernis du conte, se retrouve embarrassé d’archétypes qui menacent, au corps défendant de l’auteur, de forcer une lecture sociale un brin condescendante sur les figures désemparées qu’il dépeint. Mais la catastrophe finit par passer. Après elle, le temps d’un monologue, Guillaume Cayet spécule un futur pour Vertederage. Et là, Le temps des fins retrouve une volonté motrice dans le théâtre du jeune auteur et metteur en scène : sonder, dans le dur de l’époque, les lignes de fuite capables de faire dévier l’ordre destructeur des choses.


Le temps des fins de Guillaume Cayet
La Comédie de Valence
Place Charles-Huguenel 26000 Valence
Du 22 au 30 mai 2024
Durée 2h35

Le 8 juin Maison Folie Wazemmes, Lille
Le 13 juin Festival Les Rencontres à l’Échelle, en coréalisation avec Le Zef – Scène nationale de Marseille
Du 7 au 19 octobre Théâtre Ouvert, Centre National des Dramaturgies Contemporaines, Paris
Les 13 et 14 novembre Théâtre du Point du Jour, Lyon
Du 3 au 6 décembre Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy-Lorraine
Le 10 décembre ACB Scène nationale Bar-Le-Duc
Le 24 janvier 2025 Centre Culturel La Ricamarie
Les 29 et 30 janvier 2025 Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon
Les 11 et 12 février 2025 Scène nationale de l’Essonne
Le 4 avril 2025 Espace 1789, Saint-Ouen
Du 12 au 17 mai 2025 Théâtre de la Cité internationale, Paris

Texte et mise en scène Guillaume Cayet
Scénographie Cécile Léna
Lumière Kevin Briard
Création sonore Antoine Briot
Vidéo Julien Saez
Costumes Patricia De Petiville, Cécile Léna
Création masques Judith Dubois
Collaboration artistique Julia Vidit
Création musicale Anne Paceo
Avec les voix de Cynthia Abraham, Laura Cahen, Paul Ferroussier, Celia Kameni, Florent Mateo et Isabel Sörling 
Avec la participation de Jazz Action Valence et Paul Ferroussier
Conseiller littéraire Jean-Paul Engélibert
Équipe artistique pour la version LSF Anthony Guyon, Lisa Martin, Géraldine Berger de la Compagnie ON OFF

Avec Marie-Sohna Condé, Vincent Dissez, Mathilde Weil et la participation d’Achille Reggiani

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