Quelle est la genèse de Litt’oral et s’inscrit-il dans la continuité d’un temps fort existant ?
Simon Delétang : je dirais que son origine est double. Depuis longtemps, il y a au théâtre de Lorient, mais aussi sur le territoire breton, une tradition d’aller à la rencontre des publics et de créer des temps de partage sur deux ou trois jours. Au printemps, mon prédécesseur, Rodolphe Dana avait d’ailleurs imaginé un festival destiné aux adolescents, Eldorado. Je n’ai pas souhaité le conserver en l’état, mais j’avais l’envie de garder ce créneau pour proposer une autre manière de déployer l’art vivant sur le territoire. C’était pour moi d’autant plus important que l’équipe du théâtre à l’habitude de se mobiliser à cette période et que je sentais cette envie grandir de participer à un moment qui serait aussi une communion entre artistes, membres du CDN et public.
L’idée de Litt’oral est venue de ce que j’ai ressenti en 2020 quand j’ai monté avec le duo Fergessen, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman. Nous sortions à peine d’un premier confinement. Il fallait réinventer la manière de faire du théâtre, sortir l’art vivant des lieux pour aller à la rencontre d’un public qui pendant plus de trois mois avait été empêché. Il fallait donc le réapprivoiser. Quand j’ai pensé à ce nouveau temps fort, je n’étais pas encore arrivé à Lorient, mais je trouvais que le territoire de cette ville tournée vers la mer, riche d’un patrimoine architectural extrêmement varié se prêtait à cet exercice de contact et permettait de déployer à divers endroits de l’agglomération des propositions artistiques sortant de l’ordinaire.
Quelles en sont les principales caractéristiques ?
Simon Delétang : Je dirais que tout est à l’extérieur. C’est un théâtre vraiment hors les murs. Pendant quatre jours, l’équipe du CDN, les artistes invités vont aller à la rencontre des habitantes et des habitants. C’est en tout cas dans ce sens qu’avec Thierry Thieû Niang nous avons notamment pensé les commandos circassiens, qui investirons de manière totalement impromptue des lieux où l’on n’attend pas qu’il y ait de l’art a priori, comme le parvis de la gare, ou l’embarcadère de bateau pour se rendre sur l’Île de Groix. L’important est de rendre visible l’activité du CDN hors de ses murs et de donner envie à de nouveaux publics de venir découvrir à l’année ce qui s’y trame et s’y cache. Le projet du Festival a vraiment été pensé comme une émanation de ce que nous proposons à l’année. Par ailleurs, et c’était essentiel pour moi, sur les dix spectacles et performances que nous allons présenter durant ces quatre jours, sept sont gratuits.
C’est donc un temps fort pluridisciplinaire…
Simon Delétang : Absolument. Il s’inscrit totalement dans le projet du théâtre de Lorient, qui a cette singularité d’être pluridisciplinaire, tout en gardant à cœur d’avoir une dominante de création théâtrale. Il y a du cirque, de la danse, du théâtre musical et puis bien évidemment des textes et de l’art dramatique.
Quelles sont les grands temps forts de ce festival ?
Simon Delétang : Il y en a plusieurs. L’un de ceux qui me semblent vraiment importants, c’est la recréation in situ Des Naufragés d’Emmanuel Mérieu, au cimetière des bateaux de Lannester. Le spectacle se fera à ciel ouvert avec en fond de décor ces carcasses échoués de vieux gréements. Je pense que cela devrait être assez spectaculaire. Il y a aussi Les Bonnes de Jean Genet qui seront présentées à la Villa Kerlilon, située à Larmor Plage. Le spectacle imaginé par deux anciennes académiciennes de la Comédie-Française, Héloïse Cholley et Emma Laristan, s’était joué dans les escaliers de la salle Richelieu. Elles le déploient ici dans un lieu qui n’est jamais ouvert au public, car faisant partie d’une zone militaire, donc sensible. Et puis, il y a l’événement intergénérationnel pensé par notre artiste compagnon Thierry Thieû Niang, une reprise du Sacre du printemps de Stravinsky, avec des interprètes amateurs de tout âge qui sera donné sur le parvis du théâtre. J’ai aussi eu l’envie de remonter dans les jardins de l’hôtel Gabriel, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, que j’avais créé à Bussang. Une manière de continuer à présenter les multiples facettes de mon travail au public lorientais.
Le festival dépasse largement le cadre de la ville….
Simon Delétang : Oui, c’est vraiment un temps fort qui se déploie sur Lorient et son agglomération. Avec Litt’oral, l’idée était vraiment de regarder vers l’océan, d’inscrire les propositions artistiques dans des paysages naturels ou dans des lieux de patrimoines architecturaux, de sortir de la ville, pour découvrir ce qu’il y a autour. C’est d’autant plus singulier, que le projet a été pensé quand j’étais encore à Bussang. Il y avait donc pour moi quelque chose de l’ordre du rêve, de voir du cirque sur une plage, de la danse sur un quai bordé par l’océan et ainsi d’apporter un nouveau regard sur le théâtre paysage.
D’où viennent les artistes que vous programmez à l’occasion de ce temps fort ?
Simon Delétang : d’un peu partout. Certains, comme Chloé Moglia, sont des voisins, d’autres ne sont pas particulièrement rattachés à la Bretagne. Comme je l’évoquais, le projet a été pensé en amont de ma nomination. Du coup pour cette première édition, j’ai fait le choix de travailler avec des artistes dont je connais bien le travail et qui s’inscrivent parfaitement dans ce que je souhaitais présenter dans ce cadre spécifique. À l’avenir, nous aimerions une participation plus importante d’artistes du territoire, afin d’arriver à un équilibre. Depuis un an, que je suis en poste, je commence à les rencontrer, à découvrir leur travail. Cela prend du temps, mais cela fait partie de la mission du CDN d’accompagner des compagnies du territoire.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?
Simon Delétang : Du beau temps, d’attiser la curiosité des habitants et de provoquer une forme de spontanéité. La plupart des propositions sont présentées dans la rue. Si un passant, ne serait-ce qu’une dizaine de minutes s’arrête pour observer ce qui se passe, la gageure sera gagnée.
Comme vous l’évoquiez cela fait un an maintenant que vous êtes à Lorient, quel est votre ressenti ?
Simon Delétang : Il est très positif. Tout ce que l’on a entrepris depuis mon arrivée, a reçu un écho du public très positif. J’ai la sensation que nous avons commencé à attirer des publics très divers. En déployant un projet sur le territoire et en créant des partenariats avec des structures aussi différentes que le FC Lorient ou le Bagad de Lorient, j’ai l’impression que nous avons ouvert de nouvelles portes, attiser de nouvelles envies. Et puis les gens d’ici, quand ils s’engagent, ils ne font pas semblant. Je trouve que ça donne de la confiance aussi pour bâtir un projet sur le long terme. C’est très stimulant.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Litt’oral
Théâtre de Lorient
Parvis du Grand Théâtre
56000 Lorient
Du 1§ au 19 mai 2024