Comment est née cette envie de créer dans un espace muséal ?
Raphaël Cottin : D’un partenariat régulier avec le Musée des Beaux-Arts à Tours. C’est la troisième fois que j’imagine une performance dans leurs locaux. Ce qui m’intéresse tout particulièrement dans cette collaboration, c’est la confrontation de la danse contemporaine avec les collections qui vont de l’Antiquité à l’art contemporain. Cela crée chez moi un vrai désir, une émulation. La première fois que j’ai travaillé avec le Musée, c’était en 2020. Le projet a avorté en raison de la crise liée au covid, mais l’idée était d’amener la danse dans des lieux non-dédiés et d’imaginer une sorte de dialogue entre les mouvements et les œuvres exposées. Assez vite, l’idée a été de créer une performance en lien avec l’exposition du moment. C’est en tout cas le souhait exprimé par Virginie Dansault, responsable de l’action culturelle du musée. Cette année, elle m’a proposé de concevoir un spectacle dans le cadre de l’exposition temporaire Le Sceptre et la Quenouille. Être femme entre Moyen Âge et Renaissance, qui est consacrée aux représentations esthétique, sociale, politique de la femme. Ce spectre assez large ouvrait un vaste champ à explorer.
Justement, qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Raphaël Cottin : La volonté du musée était de lier la performance à la conférence de l’historien Clovis Maillet, « Puissance des femmes et fluidité du genre au Moyen-Âge », donnée dans le cadre des Visiteurs du soir, événement récurrent où un petit groupe de visiteurs est convié à visiter l’exposition dans des conditions particulières et à participer à une sorte de happening muséal, que ce soit une performance ou une conférence. Au départ, d’ailleurs, ma proposition artistique ne devait pas être liée au Festival Tours d’Horizons. Ce sont les hasards du calendrier qui ont rendu cela possible.
Pour revenir à ce qui nous intéresse, la performance que je vais présenter le 30 mai et 1er juin 2024, abordera la fluidité du genre, une thématique qui apparaît en filigrane de l’exposition. C’est donc cette question du genre qui a été le point de départ de ma réflexion. Une thématique que j’aborde peu dans mon travail de chorégraphe, mais je trouvais stimulant de sortir de mon cadre habituel pour explorer d’autres horizons. La contrainte est un formidable moteur créatif. Cela m’oblige à me déplacer pour trouver une réponse créative à quelque chose qui n’est ni évident, ni familier. Et puis quand je visite une exposition, j’aime avoir un regard analytique sur les œuvres, comprendre le mouvement qui anime ces objets pourtant statiques que sont les statues, les tableaux. Cette année, j’ai souhaité dépasser le simple cadre de l’exposition et des œuvres présentées, pour m’intéresser aux figures féminines de la danse du début du XXe siècle à aujourd’hui. Ce sont souvent des grandes pionnières, des révolutionnaires de l’art et je trouvais que cela faisait parfaitement écho à la thématique muséale abordée.
Pourquoi ces danseuses particulièrement ?
Raphaël Cottin : Les artistes que j’ai choisies, comme Isadora Duncan ou Valeska Gert, m’ont fasciné parce qu’au-delà de leur manière de danser très atypique, très novatrice, elles ont toutes laissé une trace écrite de leur vie, de leur art, à travers des autobiographies ou des écrits pédagogiques. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très nourricier dans leur manière de parler d’elles, de leur place dans la société, de leur manière d’aborder le mouvement. J’ai donc tissé des récits, des gestes en me confrontant à des personnalités aussi variées et hautes en couleur que Doris Humphrey ou Wilfride Piollet. Chacune a contribué à de petites révolutions de la danse et a su transmettre son art. Certaines ont laissé des écrits plus pédagogiques, d’autres des éléments de leur histoire qui viennent éclairer leur danse. Plonger dans leur vie a été pour moi enrichissant. Cela m’a permis de mieux appréhender comment leur regard sur le monde leur a permis de s’émanciper et d’ouvrir des portes aux autres.
Y-a-t-il des anecdotes qui vous ont plus marqué que d’autres ?
Raphaël Cottin : il y a un témoignage audio, en effet, que je trouve passionnant. Celui où Wilfride Piollet évoque sa rencontre avec Alicia Alonso, une autre grande dame de la danse qui avait pratiquement perdu la vue à la fin de sa carrière. Elle y raconte la création de Giselle, où Elle incarnait Myrtha, la reine des Willis. À la fin d’une représentation, elle est allée demander s’il serait possible de changer les lumières, qu’elles trouvaient trop agressives et qui l’aveuglaient. La réponse d’Alicia Alonso a été sans appel : « Vous devriez pouvoir danser les yeux fermés. » Ce sont les paroles de ces femmes, de ces danseuses, de ces chorégraphes que j’ai eu envie de porter dans cette performance, car elles impulsent à la société quelque chose qui rassemble le pédagogique, l’engagement et le poétique.
Comment traduit-on cela en mouvement ?
Raphaël Cottin : Mon fil conducteur a été avant tout de m’accrocher à l’image de la danse et comment elle est véhiculée à travers le corps. C’est d’ailleurs pour cela, que l’un des premiers textes lus pendant cet impromptu chorégraphique, est un article écrit par Philippe Verrièle sur un des spectacles de Thomas Lebrun, intitulé Itinéraire d’un danseur grassouillet. La pièce a quinze ans, mais elle évoque notamment la figure féminine en danse au 19e et 20e siècle intrinsèquement liée dans l’inconscient collectif à une connotation érotique et fétichiste. C’est d’ailleurs cette symbolique forte qui m’a servi de fil rouge, car malgré l’évolution des mentalités, la femme danseuse reste cantonnée à une représentation archétypale.
Quoi que l’on fasse, quelles que soient les prises de position des artistes, les stéréotypes persistent. Dans son autobiographie, Je suis une sorcière, Valeska Gert raconte comment à mesure que le nazisme montait dans son pays, elle s’enlaidissait, et comment elle sentait le public résister à sa proposition : « Pour moi, le grabuge représentait un élément vital, plus ils rugissaient et plus je m’enhardissais » Les textes des quatre danseuses que j’ai choisi ne font pas qu’évoquer une époque ou un positionnement, ils portent en eux du mouvement et c’est ce mouvement qui me sert d’impulsion, de combustible !
Où sera donnée la performance ?
Raphaël Cottin : Je n’ai pas souhaité que cela se fasse dans les salles d’exposition. Je voulais une distanciation. Les spectateurs visiteront en amont l’exposition et viendront assister à la performance dans la salle Debré, qui se situe au deuxième étage, dans l’aile consacrée aux œuvres d’art moderne et contemporain.
Cette proposition est-elle exportable dans d’autres lieux ?
Raphaël Cottin : Tout est possible. En l’occurrence, cette performance est créée spécifiquement pour le Musée des Beaux-arts de Tours, mais je peux la décliner pour d’autres lieux : ce sera le cas dans une performance au musée Tessé du Mans en juillet prochain.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’ombre des danseuses du soir de Raphaël Cottin
Festival Tours d’Horizons
Musées des Beaux-arts
18 Place François Sicard
37000 Tours
Les 30 mai et 1er juin 2024