Il n’y a pas de corps de ballet pareil à celui que sculptent depuis près de treize ans Petter Jacobsson et son acolyte Thomas Caley. Ils sont vingt-quatre, tous des surdoués de la danse. Technique impeccable, comédiens et comédiennes dans l’âme, ils se donnent à mille pour cent à chaque représentation. Spécialisés dans le contemporain, ils s’adaptent néanmoins avec une aisance déconcertante aux différents chorégraphes avec lesquels ils travaillent. La volonté d’un directeur visionnaire et exigeant fait l’une des forces du ballet de Lorraine : toujours aller vers d’autres esthétiques, à la découverte d’artistes confirmés ou émergents, sans jamais se reposer sur ses acquis.
Avant de passer la main en décembre prochain à Maud Le Pladec, actuellement directrice du CCN d’Orléans, le duo clôture la saison avec un double programme endiablé, baroque et furieux. En clin d’œil à son successeur, il remet un coup de projecteur sur Static Shot, pièce créée pendant le covid et devenue un des tubes de la compagnie. Musique techno, ambiance de rave party, grammaire chorégraphique empruntant autant au voguing et à la techno qu’au krump : clairement, tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette œuvre un feu d’artifice.
Fresque dansée, déjantée
Face à ce rouleau compresseur hyper référencé et terriblement efficient, il fallait une création tout aussi délirante et transcendante. En confiant à la chorégraphe argentine Ayelen Parolin le soin d’imaginer une nouvelle œuvre pour le répertoire de la compagnie, Petter Jaccobson a eu le nez fin. Drôle, burlesque, totalement déjanté, Malòn tient toutes ses promesses. S’intéressant tout particulièrement à ce que désigne aujourd’hui ce mot d’origine mapuche — l’un des peuples originaires du centre de la Cordillère des Andes —, une foule indisciplinée provoquant le désordre public, ou plus festivement, une bande d’amis débarquant à l’improviste et mettant la pagaille, elle signe un spectacle foisonnant qui semble partir dans tous les sens mais qui esquisse une fresque fantasque d’une folle beauté.
S’appuyant sur la virtuosité du corps de ballet et sur ses expressivités, Ayelen Parolin ose tout. Corps dégingandés, costumes rappelant autant des brassières de bébés que des maillots de plage de la fin du XIXe siècle, l’artiste, qui présente le 8 juin à Paris Zonder, un de ses standards, dans le cadre de June Events, s’amuse avec les codes, joue à décaler les regards et à briser les normes. Écriture dégenrée, grammaire aussi itérative que disparate, Malòn est une gourmandise à déguster sans modération. Un coup de cœur absolu !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nancy
Programme 3
Ballet de Lorraine – CCN
Opéra national de Lorraine
Place Stanislas
54000 Nancy
du 23 au 26 mai 2024
Static Shot de Maud Le Pladec assiste de Régis Badel
pièce crée en 2022 pour 23 artistes chorégraphiques
Musique de Chloé Thévenin, Pete Harden
Lumière d’Eric Soyer
Création costumes de Christelle Kocher – KOCHÉ assistée de Laure Mahéo
Stagiaire dramaturgie – Baudouin Woehl
durée 25 min
Malón d’Ayelen Parolin assistée de Julie Bougard, Jeanne Colin et Daan Jaartsveld
Création musicale de Benoist Este Bouvot
création 2024 pour 24 artistes chorégraphiques
Dramaturgie d’ Olivier Hespel
Création lumière de Jean-Jacques Deneumoustier
Création musicale de Benoist Este Bouvot
Création costumes d’Alexandra Sebbag
Réalisation costumes – Atelier Couture du CCN – Ballet de Lorraine : Martine Augsbourger, Annabelle Saintier, Alexia Christiany, Gaëtane Cumet, Elsa Gérant