Sur un banc, le regard dans le vague, une jeune femme (étincelante Juliette Léger) attend. Quoi, qui, on ne sait trop. Cherchant à surprendre l’expression d’absence qui transparaît de son visage, un homme (Daniel San Pedro, tout en sensibilité) la prend en photo. Très vite, la conversation s’engage entre eux. Chacun évoque son histoire, son parcours. La complicité est quasi immédiate entre ces deux étrangers, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Confrontant leur solitude, le manque de l’autre, la quête de celui ou celle que l’un et l’autre espère, ils évoquent les personnes qui ont traversé leur vie et ont fini par disparaître dans les limbes du souvenir.
Il y a ce jeune homme rencontré dans la médina de Harar, à l’Est de l’Éthiopie, là où Rimbaud a vécu les dernières années de sa vie. Venu passer quelques jours en France, il tarde à rentrer. Les heures passent. Il ne viendra pas, ne récupérera pas ses affaires et laissera filer son avion retour, sa vie d’avant pour une autre ailleurs. Au fil de la discussion des visages, des impressions font jour. Celui d’Anne, cette amie d’enfance qui est morte trop tôt et qui a laissé derrière elle un vide incommensurable. Mais aussi celui de ces amants, de ces amantes, de ces amis de passage dont la réminiscence persiste, indélébile.
Le bal des ombres
Puisant dans sa propre mémoire et dans celles de ces deux comédiens, Clément Hervieu-Léger, co-fondateur de la compagnie des Petits-Champs, signe un texte tendre et plein de poésie. Il donne corps par les mots à ces absents et esquisse leur présence au plateau grâce à sa mise en scène, comme toujours ciselée et empreint de délicatesse. Jeux d’ombre et de lumière, déplacement minimaliste, connivence évidente, il se dégage de ce duo scénique une atmosphère ouatée, douce, un moment de partage qui invite le spectateur à plonger dans ses souvenirs. Derrière les visages de ces inconnus qui se dessinent dans les paroles de Daniel San Pedro et de Juliette Léger, ceux de nos chers disparus qui apparaissent. Qui n’a pas gardé le numéro d’un être cher qui depuis longtemps n’est plus, car le supprimer serait comme une seconde perte ?
Le temps est passé. La parenthèse s’achève, chacun repart de son côté, plus léger, avec la belle promesse d’un jour peut-être se retrouver et de belles et nostalgiques images plein la tête. Avec Place de la République, une petite forme tout en simplicité et sincérité, Clément Hervieu-Léger poursuit son œuvre délicieusement immuable et profondément humaine.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Place de la République de Clément Hervieu-Léger
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Jusqu’au 30 juin 2024
Durée 1h05
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger de la Comédie Française
Avec Juliette Léger et Daniel San Pedro
Lumières d’Alban Sauvé
Costumes Caroline de Vivaise