D’où est née l’envie de monter Le Conte des contes de Giambattista Basile ?
Omar Porras : Très longtemps, j’ai cherché un texte qui pourrait me permettre de travailler au plateau le grand-guignolesque. En tombant sur l’œuvre de cet auteur napolitain peu connu et très rarement joué, j’ai été tout de suite fasciné par son écriture, sa langue, qui cultive un parler napolitain à la fois très raffiné et extrêmement populaire. Par ailleurs, et c’est passionnant, il y a dans ce recueil de contes datant du début du XVIIe siècle, les prémices des fables de Perrault, des frères Grimm et de bien d’autres auteurs encore. Ce que j’ai beaucoup aimé également, c’est qu’il ne cherche pas à édulcorer le propos. Ces récits mettent en avant une certaine cruauté et les aspérités des personnages. Ça correspondait totalement à ce que je voulais porter au plateau. Mais pour ce que j’avais envie de faire, il me fallait une troupe de comédiens et de comédiennes extraordinaires, et trouver un moyen de faire en sorte que le spectacle soit mené par la musique. En tout cas, j’avais besoin de ces deux moteurs pour continuer à faire mes recherches, à explorer plus avant l’œuvre de Basile.
En parlant des interprètes, comment avez-vous constitué l’équipe ?
Omar Porras : Souvent, je travaille avec une équipe que je ne qualifierais pas de fixe, mais du moins avec laquelle j’ai une fidélité et de belles affinités. Pour ce projet, j’ai fait le choix de mixer un peu plus. Il y a bien sûr Philippe Gouin, que je connais depuis plus de vingt ans, Jeanne Pasquier, une amitié de plus de quatorze ans, et Marie-Evane Schallenberger, la petite nouvelle de la troupe. En parallèle de ces trois artistes, j’ai décidé d’inviter des comédiens que je n’avais jamais mis en scène, mais que je connaissais bien pour les avoir vu jouer ou les avoir eus lors d’ateliers théâtraux. L’important pour moi, c’est qu’il y ait une complicité, une connivence évidente.
Quant à la musique, comment a-t-elle servi de fil rouge à cette création ?
Omar Porras : La musique est très importante dans mon travail. Mais pour ce projet, je voulais vraiment quelque chose de plus soutenu. J’ai donc fait appel à Christophe Fossemalle, qui vient de la comédie musicale. Ensemble, nous avons travaillé à partir de références que m’inspirait le texte, nous avons beaucoup développé, à partir du livret original, la narration musicale. Cela a été très fluide, d’autant que tout s’est fait au plateau. Il nous a accompagnés tout au long des répétitions et improvisait au fur et à mesure. Il a été très attentif aux variations de jeu, à la manière dont l’histoire est construite.
La pièce a été créée en 2020 au TKM, que vous dirigez. Vous avez fait le choix de présenter cette année deux longues séries. Il y a chez vous une volonté d’installer les spectacles au long cours ?
Omar Porras : Tout à fait, c’est une volonté très forte chez moi. Quand j’ai été nommé à la direction du TKM, j’ai tout de suite voulu que soit un théâtre de répertoire et un théâtre où les créations prennent le temps de vivre, de s’installer et de rencontrer leur public.
Comment définiriez- vous l’essence du TKM ?
Omar Porras : La situation du théâtre est très singulière de par son économie. Nous sommes accompagnés à l’année par dix communes de l’Ouest lausannois. Il est donc important et vital que nous travaillions avec tout le territoire, que nous soyons en interaction constante avec lui. Quand nous fabriquons un spectacle, nous le faisons grâce à l’aide publique, c’est donc pour moi important qu’il soit durable. Qu’il puisse jouer longtemps, minimum trois semaines, car cela permet aux troupes d’exercer leur métier dans de bonnes conditions, de peaufiner l’œuvre et d’avoir un long dialogue avec le public. C’est un risque, mais depuis huit ans que nous fonctionnons ainsi, nous n’avons eu que de bonnes surprises.
Comment programmez-vous ?
Omar Porras : Cela fait maintenant plus de trente années que je me suis inscrit dans la vie théâtrale de la région. J’ai donc une bonne connaissance des troupes locales, de leur travail. Et puis du fait que nous n’avons que de longues séries, nous ne présentons que neuf spectacles par an. Ce qui est plus difficile que d’en programmer cinquante. Afin d’affiner au mieux les choix, nous lisons beaucoup de discussions, nous rencontrons les équipes, les artistes et il faut que cela est un sens avec le territoire duquel nous dépendons. L’année prochaine par exemple, nous ouvrons la saison avec une reprise de ma mise en scène des Fourberies de Scapin. Le spectacle a été créé en 2009 et continue sa vie depuis. Nous avons dépassé, je pense, les 300 dates. Je souhaitais le reprendre au TKM avant qu’il reparte sur les routes. Puis je présenterais ma nouvelle pièce d’après L’Éloge des ombres de Jun’ichirō Tanizaki. Ensuite nous allons accompagner avec le Théâtre Carouge de Genève, une adaptation du film de Coline Serreau, La Crise, mis en scène par Jean Liermier, ainsi que Le Dindon que va monter Maryse Astier, une suissesse de Rennens qui a beaucoup tourné, ces derniers temps, en France, et que nous sommes heureux de retrouver ici.
La plupart des spectacles que vous présentez sont très visuels ; très féériques, et somme toute assez « légers » ?
Omar Porras : Je dirais, pour paraphraser Fabienne Pascaud qui vient d’écrire cela dans une de ses chroniques, qu’il y a ceux qui, quand ils montent un spectacle, parlent plus facilement de la mort, et ceux qui parlent de la vie. J’aime beaucoup l’idée de montrer des pièces qui secouent nos consciences, nous font réfléchir avec humour, poésie, et oui peut-être une forme de légèreté. C’est aussi peut-être, comme Wendy et Peter Pan de Jean-Christophe Hembert, Le Conte des contes ou L’Oiseau bleu que Benjamin Knobil a adapté d’après l’œuvre de Maeterlinck, que ce sont avant tout des fables. Donc les sujets lourds sont traités moins frontalement, avec un peu de magie et un soupçon de féérie. Le théâtre, c’est aussi l’illusion.
La scénographie est d’ailleurs très importante…
Omar Porras : vous touchez un sujet qui est fondamental dans le travail que je fais au TKM. Une des grandes difficultés que nous traversons, aujourd’hui, c’est que nous nous éloignons du savoir-faire, de l’artisanat. Nous sommes en train de perdre des métiers comme costumiers, accessoiristes, tapissiers, etc., tout ce qui fait la richesse du théâtre. Si nous directeur de lieu, nous ne les soutenons pas économiquement, on va droit dans le mur. C’est pour cette raison que j’ai accolé au TKM des ateliers de décor et de costumes. Ce qui permet aux artistes qui viennent répéter et créer chez nous d’avoir accès à cette précieuse ressources. Quand je suis arrivé en France en 1985, c’était un peu l’âge d’or du théâtre. Des grands maîtres, comme Brook, Strehler, Savary ou Chéreau était à la tête des grandes maisons et j’ai aussi eu la chance de travailler avec Grotowski. Je crois que ce que j’ai retenu de cette époque, c’est l’importance du collectif, de la troupe, du faire ensemble avec les comédiens bien sûr, mais aussi les artistes de la technique, les artisans qui sont essentiels pour la création d’un spectacle. Je suis très heureux de l’équipe qui m’accompagne au TKM. Ensemble j’ai l’impression que nous avons créé quelque chose. Et il est essentiel que nous le transmettions. L’héritage de ce qui fait la richesse du théâtre, son côté spectaculaire, dans le bon sens du terme. Nous devons le préserver et le faire perdurer.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le Conte des contes de Giambattista Basile
Ce spectacle créé le 27 octobre 2020 au Théâtre Kléber Méleau
Durée 1h50
Tournée
16 mai au 1er juin 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers (FR)
Conception et mise en scène d’Omar Porras – Teatro Malandro
Adaptation et traduction de Marco Sabbatini et d’Omar Porras
Avec Simon Bonvin, Melvin Coppalle, Philippe Gouin, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli, Audrey Saad, Marie-Evane Schallenberger
Scénographie d’Amélie Kiritzé-Topor
Composition, arrangements et direction musicale de Christophe Fossemalle
Chorégraphie d’Erik Othelius Pehau-Sorensen
Costumes de Bruno Fatalot
Accessoires et effets spéciaux – Laurent Boulanger
Maquillages et perruques – Véronique Soulier-Nguyen
Assistante maquillages et perruques – Léa Arraez
Couture et habillage – Julie Raonison
Régie générale et plateau – Gabriel Sklenar
Régie son – Benjamin Tixhon & Sébastien Perron
Re-création lumière – Mathias Roche et Omar Porras
Régie lumière Jean-Christophe Kehrli – Ludovic Bouaud
Direction technique – Alexandre Genoud