On Stage, Maria Hassabi © Beniamin Boar
Beniamin Boar

Maria Hassabi « On Stage », secousse immobile

Au Kunstenfestivaldesarts, l'artiste d'origine chypriote travaille dans l'obscurité et la lenteur pour en extraire une performance mystérieuse et fascinante.

C’était presque un one shot au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles (deux dates seulement) mais la persistance des images produites par Maria Hassabi a déjà résisté à sortie de salle et au retour dans le réel. On Stage fait partie des choses que l’on espère voir lorsqu’on se rend au festival bruxellois : une performance radicale, mal classable, une proposition esthétique d’une extraordinaire plénitude.

On ne sait d’abord pas si la silhouette translucide que l’on voit apparaître comme flottant au milieu du cadre de scène éteint vient de devant nous ou du fond de notre rétine. La trace blanche et fébrile aux vagues contours humains qui se dresse face à nous se devine à peine dans le noir, notre œil pourrait tout aussi bien l’halluciner. C’est une très lente venue à la lumière qui finit par fixer la présence bien réelle, mais si fantomatique, de l’artiste. De cette introduction, la pièce n’aura de cesse de répliquer le principe à tous les niveaux, organisant l’émergence progressive de phénomènes tous immédiatement rappelés à l’abîme de leur mystère.

Sur les programmes, le nom et le titre juxtaposés écrivent, telle une publicité, « Maria Hassabi On Stage », comme si la seule présence de l’artiste sur le plateau suffisait à faire événement. C’est vrai, il n’y dans On Stage, en substance, qu’une succession de poses prises par la performeuse campée à l’avant-scène, ici commerciales, évoquant un catalogue de mode, décrivant là un drame muet ou suggérant des affects ambigus, la plainte ou la demande. D’une stase à l’autre, le mouvement s’étire au point, là encore, de mettre en cause notre perception : l’artiste est présente, oui, mais bouge-t-elle vraiment ?

On Stage, Maria Hassabi © Beniamin Boar
© Beniamin Boar

Derrière de lointains signifiants marketing agit une critique discrète. La logique sensible mise en œuvre est radicalement aliène à la loi du marché : à contresens d’une économie de l’attention frénétique et de la nécessité commerciale de saisir, circonscrire, normaliser et digérer les signes. On Stage n’est donc rien de plus que ce que son nom indique, mais il ouvre vers des horizons larges — on imagine parfois à l’oreille qu’un océan s’étend derrière la performeuse. La prodigieuse bande-son que celle-ci cosigne avec Stavros Gasparatos voit peu à peu s’articuler, dans un paysage sonore brumeux, des notes de piano profondes et spectrales. Leur construction rappelle les Contemplations de l’américain Charles Ives, où des plages de cordes traînantes sont le lit de contrepoints atonaux soudains : dans The Unanswered Question du même compositeur, ceux-ci sont pensés comme des interrogations existentielles au milieu du silence.

Maria Hassabi, qui partage sa vie entre Athènes et New York, crée depuis le début des années 2000 dans les musées et dans les théâtres. Avant On Stage, il y avait Staged? (2016) et Staging (2017), deux performances créées respectivement pour la galerie et pour la scène. Ici, on se dit que l’artiste puise dans cette double position son approche plastique de la boîte noire, laquelle, au gré de lents changements d’éclairage, se creuse de profondeurs variables avant de se révéler, toutes lumières allumées, dans sa pleine matérialité.

La dramaturgie minuscule mise en scène ici par cette chypriote d’origine, fidèle à une méthode chorégraphique rodée depuis une quinzaine d’années mais encore trop rarement présentée en France, ne tient à aucune démonstration de force, même si le maintien du corps dans la durée est une gageure technique. Ce dont elle fait cependant montre, c’est d’une capacité prodigieuse, quasi-prestidigitatrice, à faire apparaître et disparaître ses phénomènes. On projettera alors mille choses dans les stases successives cette figure offerte au regard, sur ce visage aux yeux clos ou mi-ouverts (là encore, on ne sait pas très bien), auquel la lumière creuse des accents vampiriques. Mais quelque chose y échappera toujours, et cette chose-là a le goût obsédant de l’inconnu.


On Stage de Maria Hassabi
Kunstenfestivaldesarts
Théâtre des Martyrs
Place des Martyrs 22, 1000 Bruxelles

Les 16 et 17 mai 2024
Durée 1h

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