Dans les jardins de la FabricA du Festival d’Avignon, la bonne humeur se mêle sensiblement à l’euphorie d’un soir de première. Autour des tables disposées dans l’herbe, des élèves de sixième, de cinquième et de seconde font repas commun avant d’investir l’immense plateau qui les attend. Le soir, les trois classes présenteront le travail accompli dans le cadre de leurs ateliers de théâtre, devant un public composé des parents d’élèves et de quelques spectateurs fidèles de la manifestation estivale. Mais pour l’heure, rien n’est encore concret. Rien n’a encore acté ce qui restera, pour certains, une première fois.
« Il faut quelque chose qui claque »
Depuis plusieurs mois, enseignants et artistes intervenants travaillent main dans la main pour proposer aux élèves de collèges et de lycées des ateliers de pratique théâtrale. Très attendue par certains et redoutée par d’autres, cette activité s’inscrit dans le cadre d’un parcours d’éducation artistique et culturelle accompagné par le Festival d’Avignon. Avec ce partenariat destiné à favoriser une sensibilisation au spectacle vivant, les équipes pédagogiques ne s’y trompent pas : « C’est une collaboration de rêve ! », s’enthousiasme Géraldine Tellène, professeure du lycée Mistral, relevant une qualité de travail « qui s’apparente à un niveau professionnel ». Même constat du côté de Julie Minck, artiste intervenante auprès d’élèves de cinquième, qui se réjouit du niveau d’exigence que permet cette collaboration.
Il faut dire qu’au-delà de l’accompagnement qu’implique ce partenariat, la notoriété du Festival d’Avignon ne passe pas inaperçue. Pour Claire Quoirin, enseignante au collège Jean Brunet, il fallait « quelque chose qui claque » pour lancer la section Internationale américaine de l’établissement. C’est chose faite avec ce projet qui mêle l’anglais au théâtre et qui permet, comme pour les élèves du collège Mistral, d’éveiller les curiosités en direction du spectacle vivant. Car tous ne sont pas là par choix d’option ou de spécialité. Il a parfois fallu composer avec les réticences ou le sentiment de honte chez certains des élèves qui n’avaient jamais fait de théâtre ou assisté à une pièce. Pourtant, là se forment déjà les spectateurs de demain. « Si ce n’est pas préparé en amont, ça ne marche pas », assure Claire Quoirin, qui espère ainsi mener ses élèves de la sixième à la troisième avant de les diriger vers le parcours “Première fois” du festival.
Du côté de la classe de seconde du lycée Mistral, certains n’en sont déjà plus à leurs premiers pas. Mais même si le trac ne les a pas encore totalement gagnés une heure avant la représentation, difficile de ne pas penser au cadre qu’ils se sont approprié le temps d’une journée. « On est honorés de le faire dans ce lieu », confie Elias qui a pris part, avec ses camarades, au choix de l’œuvre travaillée. Par le premier texte qui leur a été soumis, ils ne se sont « pas sentis concernés » explique-t-il, assurant qu’il y a « beaucoup moins de racisme dans [leur] génération ». Verdict, c’est la pièce Plutôt vomir que faillir de Rébecca Chaillon, plus proche de leurs véritables considérations, qui est devenue leur outil de jeu, leur ouvrant les portes vers l’univers d’une artiste qui leur était jusqu’alors inconnue.
La FabricA, épicentre du Festival d’Avignon
À l’instar de ces présentations des ateliers de théâtre, La FabricA développe tout au long de l’année ses activités et son rayonnement auprès des artistes et publics locaux, notamment. Depuis son arrivée à la tête du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues a fait sienne l’ambition d’asseoir ce lieu comme un espace de création, de recherche, de formation et de médiation. Ainsi souhaite-t-il, avec le soutien de son équipe chargée des relations avec le public, appuyer un développement qui ne se concentre plus exclusivement sur le temps fort de l’été, mais dont l’empreinte s’inscrit durablement sur le territoire à l’année.
Sortie de terre en 2013, La FabricA voit d’abord le jour pour répondre à un besoin essentiel dans le cadre du Festival d’Avignon : proposer aux artistes programmés un espace de création dédié, à la mesure de l’événement. Concrètement, une fois les gradins rétractés au maximum, la salle fait tout simplement la taille du plateau de la Cour d’honneur du Palais des papes. Ici se sont créées ou ont été diffusées bon nombre de pièces emblématiques des dix dernières éditions du festival, d’Olivier Py à Julie Deliquet en passant par Macha Makeïeff ou Thomas Jolly.
Malgré sa situation hors des remparts, le lieu devient rapidement un incontournable du paysage théâtral avignonnais… sauf peut-être pour les Avignonnais eux-mêmes. Si le public festivalier s’habitue rapidement à cette nouvelle scène, rien n’indique que les habitants aient pris à leur tour la mesure de la chose. Comme le rappelle Frédérique Gauvrit, alternante au sein de l’équipe chargée des relations publiques, « beaucoup d’Avignonnais ne connaissent pas du tout le festival ». En cause, une frontière — matérialisée par les remparts de la cité — qui semble infranchissable, et pas seulement en juillet. Charge alors à l’équipe permanente de l’institution de travailler en profondeur le lien qui unit le Festival d’Avignon à son territoire et à ses habitants. Du côté de La FabricA, cela se met en place par le biais de visites, de stages ou de formations. Et une fois venu le temps du festival, c’est le parcours « Première fois », inauguré lors de la 77e édition sous la direction de Tiago Rodrigues, qui prend le relais.
Toute, toute première fois
La notoriété du Festival d’Avignon n’en fait pas moins un événement particulièrement confronté aux problématiques du spectacle vivant, parmi lesquelles figure en bonne place la question du renouvellement du public. Mais derrière « Première fois » ne se cache pas uniquement une tentative de réaction contrainte à ce constat. Au contraire, dans la dynamique recherchée avec le développement de La FabricA, il s’agit de pérenniser un dialogue entre la structure et les habitants pour permettre à de nouveaux spectateurs de s’approprier le festival. « C’est un accompagnement tout au long de l’année », explique Juliette Marmisse, chargée des relations avec le public, précisant qu’il n’est pas nécessaire d’être jeune pour vivre sa première fois.
En faveur des nouveaux spectateurs, le Festival d’Avignon met d’ailleurs toutes les chances de son côté. Si tous les spectacles de la programmation ne sont pas labellisés « Première fois » en raison de leur complexité, il s’agit malgré tout de proposer une expérience à la fois accessible, mémorable et exigeante. La programmation est ainsi étudiée en amont par l’équipe chargée des relations publiques et par les médiatrices dédiées à ce parcours, de sorte à créer une porte d’entrée ludique vers le festival, à l’image du carnet de spectateur mis à disposition du public. En 2023, ce sont au moins 5000 nouveaux spectateurs qui ont été accueillis dans le cadre de ce parcours, qui répertorie cette année 21 des 35 spectacles de la programmation. L’équipe permanente du festival espère ainsi fidéliser un public renouvelé. Après tout, comme le note Juliette Marmisse avec optimisme : « Une première fois, ça mène à une deuxième fois. C’est vraiment ce qu’on veut. »
Peter Avondo
78e édition du Festival d’Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024