En 2022, l’autrice Élisabeth Bouchaud entamait une trilogie autour de femmes scientifiques qui ont changé la face du monde mais que la société patriarcale a refusé de reconnaître. Le premier volet portait sur Lise Meitner, Exil intérieur, qui a découvert la fission nucléaire. Le second, Prix No’Bell, invoquait Jocelyn Bell, à l’origine de la découverte des pulsars. Toutes les deux n’ont jamais reçu les honneurs qui auraient dû récompenser leurs travaux. Leurs découvertes ont été spoliées par des hommes qui s’en sont approprié la paternité. Avec L’affaire Rosalind Franklin, on peut parler véritablement d’un vol concernant la découverte, en 1962, de la structure en double hélice de l’ADN. C’est édifiant.
La reconnaissance
Rappelons qu’il n’est pas besoin d’avoir de grandes connaissances scientifique pour savourer les pièces d’Élisabeth Bouchaud. C’est toute la force de ce travail admirable, qui trace également de beaux portraits de femmes dans le paysage de leur époque : le nazisme et la Second Guerre mondiale pour Lise, les années 1970 pour Jocelyne et l’après-guerre des années 1950 pour Rosalind. Les deux dernières ont en commun de vivre dans une Angleterre très patriarcale. Ce qui n’a absolument pas facilité la reconnaissance de leurs talents.
Aujourd’hui, on connaît tous l’acide désoxyribonucléique. On sait qu’il contient toute l’information génétique des êtres vivants. Ce fameux ADN est maintenant au cœur de toutes les séries policières, car il permet souvent d’identifier le coupable. Depuis des années, la science tournait en rond et la découverte de Rosalind Franklin allait lui faire faire un grand saut. Ses clichés d’ADN obtenus par diffraction des rayons X ont été déterminants dans la découverte de la structure de l’ADN, qui va ensuite permettre de comprendre l’ensemble du fonctionnement génétique. Or, en 1962, ce sont ses collègues Maurice Wilkins, James Dewey Watson et Francis Crick qui ont reçu le prix Nobel pour cette découverte majeure.
Pourquoi n’a-t-elle pas été récompensée ? Parce que Rosalind est décédée en 1958 et que le Nobel n’était pas attribué à titre posthume. Ce qui a bien arrangé les affaires de ces messieurs, lesquels, sans aucun scrupule, lui avaient volé sa découverte. Dans une enquête remarquable et bien ficelée, Élisabeth Bouchaud raconte comment tout cela est arrivé.
La jeunesse rayonnante
Ça démarre sur un joyeux son joyeux jazzy, dans l’euphorie de Saint-Germain-des-Prés. On découvre une jeune savante déjà reconnue qui ne vit que pour ses recherches. Lorsqu’elle décide de quitter Paris pour rentrer dans son Angleterre natale afin de travailler sur l’ADN au King’s College de Londres, elle ne se doute pas qu’elle met les pieds dans un horrible piège fait de malentendus bien entretenus par ses collègues masculins. Ces derniers vont la traiter en hystérique et, derrière son dos, fomenter leur complot. Ils l’ont si bien fait qu’elle n’y a vu que du feu ! Pourtant, lorsque son article sur ses résultats sort après ceux de Watson et de Crick, elle comprend qu’on l’a fait passer pour juste une exécutante. Elle s’en ira dans une autre université pour travailler sur les virus, avant de mourir d’un cancer de l’ovaire probablement lié aux radiations auxquelles l’ont exposée ses recherches.
Pour ce troisième volet, changement de metteuse en scène : après Marie Steen, c’est au tour de Julie Timmerman, qui signera aussi le volet à venir sur Marthe Gautier. Son travail est remarquable. L’esprit est celui des films noirs américains des années 1950 où l’action se situe. S’appuyant sur la très ingénieuse scénographie de Luca Antonucci et de beaux effets visuels, son dispositif scénique formé d’un carré blanc qui figure le laboratoire, encadré par des passerelles, est très bien conçu. Tout tourne autour de l’axe central, Rosalind Franklin, interprétée avec une belle finesse par la délicieuse Isis Ravel (Fuir le fléau, Impromptu 1663).
Puisque la jeune chercheuse est toujours sous la surveillance des hommes, les comédiens sont toujours sur scène. So british, Matila Malliarakis (Anquetil tout seul, Le Président), chapeau vissé sur la tête et lançant des tirades de Shakespeare à tout bout de champ, est le professeur Wilkins. Julien Gallix passe avec une belle aisance du timide étudiant Raymond Gosling à l’arrogant Francis Crick. Le formidable Balthazar Gouzou se glisse sans aucun souci dans le lumineux Vittorio Luzzatti, physicien italien, et l’horripilant yankee James Watson. Rondement mené, ce spectacle captivant est une belle réussite.
Marie-Céline Nivière
L’affaire Rosalind Franklin, d’Élisabeth Bouchaud.
Festival Off Avignon
Avignon – Reine Blanche
16 Rue de la Grande Fusterie
84000 Avignon
Du 3 au 21 juillet 2024 à 18h15, relâche les 8 et 15 juillet.
Durée 1h15.
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris.
Du 7 mai au 9 juin 2024.
Mise en scène de Julie Timmerman
Avec Isis Ravel, Balthazar Gouzou, Matila Malliarakis, Julien Gallix
Scénographie de Luca Antonucci
Assistanat à la mise en scène et chorégraphie de Véronique Bret
Lumières de Philippe Sazerat
Son de Mme Miniature
Musique de Benjamin Laurent
Vidéo de Thomas Bouvet