Les jours de mon abandon d'après le roman d'Elena Ferrante © Anna Van Waeg
© Anna Van Waeg

« Les jours de mon abandon » de Gaia Saitta : une femme sous influence patriarcale

Au Kunstenfestivaldesarts, la performeuse romaine, artiste associée du Théâtre national de Wallonie-Bruxelles, porte au plateau le roman éponyme de la romancière Elena Ferrante.

Olga est une Napolitaine heureuse en ménage, du moins elle a une vie conforme en tout point à ses souhaits. Amoureuse de son mari, un brillant ingénieur, elle a deux beaux enfants et une chienne des plus câlines. Quand son cher et tendre conjoint est muté à Turin, elle n’hésite pas une seconde à le suivre. Cela va dans la logique de sa mentalité de bonne épouse, de bonne mère. Mais tout son petit monde si bien réglé s’effondre le soir où il lui annonce sans ménagement qu’il la quitte. À peine a-t-elle le temps de digérer l’information et de finir de laver la vaisselle qu’il n’est déjà plus là, que la porte d’entrée s’est refermée, la laissant gérer seule le quotidien. 

Dans un espace volontairement ouvert, seuls les cadres des cloisons apparents délimitent les espaces de vie, Olga (Gaia Saitta) erre comme une âme en peine. Abandonnée, sonnée, esseulée, elle arrive à peine à supporter ses enfants, leurs jeux, leurs jérémiades, leurs besoins ordinaires. En perdant cet homme, un mâle banal, ni plus lâche, ni plus méchant qu’un autre, autour duquel elle avait construit à son corps défendant son univers, elle semble s’être vidée de sa substance. Victime sacrifiée sur l’autel d’une éducation patriarcale, qui la cantonne depuis sa naissance au rôle de femme au foyer soumise, Olga s’enfonce chaque minute un peu plus dans le néant. C’est d’autant plus terrible et violent qu’elle pensait s’être affranchie, contrairement à ses ascendantes, de cet archétype sociétal. 

Les jours de mon abandon de Gaïa Saitta © Anna Van Waeg
© Anna Van Waeg

Utilisant des ressorts scéniques semblables à sa dernière création, Je crois que dehors c’est le printemps (public au plateau, adresses à la salle, mise en scène participative, jeu sur le ton de la confession, etc.), Gaia Saitta poursuit, en adaptant librement l’œuvre d’Elena Ferrante, son exploration des drames humains à l’aune de sa propre expérience. Questionnant la place de la femme, les normes sociales qui imposent quoi qu’il arrive les mêmes schémas de génération en génération — le petit garçon doux finira macho, la fille pétulante, soumise —, la comédienne et metteuse en scène esquisse le portrait d’une figure féminine qui lui déplait dans un premier temps, tant elle semble ancrée dans une époque révolue. Toutefois, au fil des liens qu’elle tisse avec ce double fictionnel, des points de convergences apparaissent tant les diktats archaïques du patriarcat résistent à l’émancipation féminine. 

Le regard de Gaia Saitta sur l’effondrement de ce couple si banal, et tout particulièrement de cette femme qui n’est plus que l’ombre d’elle-même faute de pouvoir exister seule, a quelque chose de crépusculaire, de terriblement angoissant. En le rayant du plateau, elle déboulonne tout autant le mâle de son piédestal. Pourtant, la trame narrative fragmentaire dans laquelle elle enferme Olga la contraint dans une forme performative qui ne tient pas toutes ses promesses. Malgré une présence incroyable, un sens aigu du tragique qui oscille entre la commedia dell’arte et approche cinématographique des rôles à la manière de Cassavètes, le propos se dilue dans un temps par trop étiré et des circonvolutions qui ne trouveront leur sens qu’à la toute fin du spectacle. C’est d’autant plus criant que de nombreuses thématiques abordées font écho, en miroir, à celles de son précédent spectacle.

Fragile dans sa construction, Les jours de mon abandon n’en reste pas moins un spectacle engagé et féministe, qui place le spectateur dans un rôle auquel il est peu accoutumé : celui du confident d’une femme qui se rend compte trop tard de sa servitude et de la veulerie pathologique des hommes.


Les jours de mon abandon de Gaia Saitta et Mathieu Volpe d’après le romon d’Elena Ferrante
Kunstenfestivaldesarts
Théâtre national de Wallonie-Bruxelles
111-115 Boulevard Émile Jacqmain
1000 Bruxelles
jusqu’au 19 mai 2024
Durée 1h30 environ

Tournée
07 et 09 février 2025 au
teatre nacional de Catalunya, Barcelone (Espagne)
28 février au 02 mars 2025 au Piccolo Teatro Milano, Milan (Italie) – option
06 au 08 mars 2025 au CCS Teatro Stabile di Innovazione del Friuli Venezia Giulia Soc.Coop., Udine (Italie)
17 au 19 avril 2025 au Théâtre de Namur (Belgique)
le 24 avril 2025 au Manège – Scène nationale transfrontalière de Maubeuge (France)
28au 30 avril 2025 au Théâtre Joliette, Marseille (France)

Concept, adaptation, metteuse en scène de Gaia Saitta
Collaboration artistique – Sarah CunyMathieu VolpeJayson Batut
dramaturgie de 
Gaia Saitta et Mathieu Volpe
Assistante à la mise en scène – 
Sarah Cuny 
Avec 
Jayson BatutFlavie Dachy / Mathilde KaramGaia Saitta & Vitesse (le chien)
Scénographie de 
Paola Villani
Costumes de Frédérick Denis
Musique et son d’Ezequiel Menalled
Lumières d’
Amélie Géhin

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