L’association entre Joël Pommerat et le Théâtre de la porte Saint-Martin, dirigé par Jean Robert-Charrier, répare cette fracture qui perdure entre le théâtre subventionné et le théâtre privé. L’avantage de ce dernier est que ses longues exploitations permettent aux œuvres de toucher un plus large public. Ce qui a fonctionné dès le début avec, en 2017, avec eu Cendrillon. Très vite, le spectacle a affiché complet. Puis, il y a eu Ça ira (1) Fin de Louis et Contes et Légendes. Aujourd’hui, La réunification des deux Corées pourquit ce que semble devenir un rendez-vous d’amour entre de Pommerat et les spectateurs.
Lors de sa création, en 2013, aux ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon, le spectacle avait été pensé en dispositif bifrontal. Ce n’est plus possible dans un théâtre à l’italienne du XVIIIe siècle. La scénographie a donc été repensée. Ainsi, cette reprise devient en quelque sorte une recréation, puisque chez Pommerat l’écriture et la mise en scène forment un lien si étroitement lié qu’on ne peut les dissocier.
Les histoires d’amour finissent mal en général
Avec le scénographe Éric Soyer, Pommerat dessine un espace scénique d’apparence minimaliste, qui se révèle prodigieux. Entre chaque tableau, la salle est plongée dans un noir profond, puis un flash nous fait passer au suivant. Nous ne savons jamais ce qui va surgir de ce noir, et chaque scène surgit comme des tableaux. Certaines, par le jeu des lignes et des perspectives, font songer aux œuvres de Edward Hopper, ce grand peintre qui a su bien exprimer ce sentiment de la solitude dans un monde trop grand et trop complexe. La musique est associée étroitement aux mots et aux maux des personnages. Et puisqu’il est question d’amour, elle n’en résonne que plus fortement.
Ce spectacle au titre étrange explore de la complexité du discours amoureux. Or, comme l’explique l’un des personnages, une histoire d’amour prend cœur entre deux êtres qui ont chacun leur propre passé, leur propre langage, leurs visions des choses. Attirés tel des aimants, ils vont se réunir et parfois s’unir, pour le meilleur et pour le pire. L’usure venant, la séparation, qui passe régulièrement par une guerre civile, devient inévitable. À l’image de la Corée, divisé en deux camps, l’un démocratique et l’autre communiste, il est difficile de réunir les humains ! En tout cas, l’amour est universel. Ce qui fait que ce spectacle parle à tout le monde et même à la planète entière, jusqu’à Singapour.
Un théâtre aussi vivant que vibrant
Il n’y a pas de narration linéaire, mais des touches de vie, exposées dans une vingtaine de fragments. Pommerat aborde ces morceaux de vie, en n’oubliant jamais que l’on se débat avec nos failles dans une société qui ne fait pas souvent de cadeau. De cette écriture puissante, il va être question d’amour, c’est évident, de désamour, mais aussi de la maladie, de la mort, de l’amitié et surtout de ce besoin de tendresse auquel tout être, quel que soit son âge, aspire. Le spectateur prend en plein fouet l’émotion contenue dans ce spectacle.
Apparaissant, disparaissant, surgissant même de la salle, ils ne sont que 9 sur scène et on les voit multiples. Dans cet esprit qui fait vibrer les grandes troupes de théâtre, Saadia Bentaïeb (que l’on a pu voir dans le film Anatomie d’une chute), Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu donnent majestueusement vie à ce spectacle d’une grande puissance.
Marie-Céline Nivière
La réunification des deux Corée, texte et mise en scène de Joël Pommerat (Éditions Acte Sud).
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard Saint-Martin
75010 Paris.
Jusqu’au 14 juillet 2024.
Durée 1h50.
Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.
Scénographie et lumière d’Éric Soyer.
Vidéo de Renaud Rubiano.
Costumes d’Isabelle Deffin.
Perruques de Julie Poulain (2024) – Estelle Tolstoukine (2012).
Son de Philippe Perrin (2024) – François Leymarie, Grégoire Leymarie (2012).
Musique originale d’Antonin Leymarie.
Assistants à la mise en scène Garance Rivoal, Lucia Trotta, Pierre-Yves Le Borgne.