Inauguration de Crescendo © Marianne Cuomo
© Marianne Cuomo

Aux Subs, le monument de céramique de Julian Vogel

La structure lyonnaise fait se rencontrer le spectacle vivant et les arts plastiques en dévoilant son installation saisonnière. "Crescendo", œuvre monumentale de métal et de porcelaine signée par l'artiste de cirque suisse a pris ses quartiers dans l'ancienne caserne. Spectacles et concerts graviteront autour tout l'été.

L’énorme structure plantée au beau milieu des Subs peut impressionner : 9 mètres de hauteur, 70 mètres de longueur ondulant sur elle-même, et surtout, une paternité qui ne revient pas, comme on l’attendrait, à un plasticien habitué aux grands formats, mais bien à un artiste de cirque. « Je ne me vois pas comme un sculpteur », insiste Julian Vogel lorsqu’on lui demande si tout ceci n’est pas une brèche ouverte sur une carrière parallèle à la scène. On n’échappe pas si facilement à une vie de cirque.

Julian Vogel dans Crescendo © Romain Fievet
Julian Vogel dans Crescendo © Romain Fievet

Intitulée « Crescendo », la sculpture ressemble à une montagne russe en métal s’élevant progressivement dans les airs jusqu’à son point culminant. 130 cylindres en céramique y sont suspendus comme les tubes d’un carillon. On s’attendrait presque à entendre la colossale installation tinter au vent. Au milieu de ces objets suspendus, les enfants jouent. Certains, qui passent la tête dans le grand cylindre attaché au point le plus haut, découvrent une face intérieure émaillée de bleu.

Le projet mené par le lieu lyonnais dirigé par Stéphane Malfettes depuis 2019 retourne de cela. Chaque année, un ou une artiste invité·e se charge de réaliser une installation à la mesure du grand espace extérieur de ce lieu de travail et de création. Plasticiens, architectes et scénographes s’y sont frotté les années précédentes. À chaque fois, le centre d’art lyonnais donne le lieu et les moyens, pour les artistes, de voir les choses en grand.

C’est à sa table de cuisine que Julian Vogel, il y a des années de cela, a eu l’épiphanie qui a déterminé son chemin d’artiste. L’étudiant en cirque réalise que deux bols collés l’un à l’autre ont la forme d’un diabolo. Il n’en faut pas plus pour y donner un coup de perceuse et que l’instrument prenne forme, pas davantage pour faire de la céramique la matière première de toute sa pratique artistique. Le geste, il le reproduit dans China Series, une installation qui embarque le spectateur au milieu de plats, d’assiettes et de tasses mis en mouvement mécaniquement.

La commande des Subs marque un changement d’échelle pour ce manipulateur de vaisselle. Il a fallu trois mois dans un atelier aux Pays-Bas, à soulever 1700 kg de terre par paquets de dix kilos, pour donner forme à ces grands tubes émaillés à l’intérieur et bruts à l’extérieur. « Je fabrique tout moi-même. Pour cette pièce, il y a eu un engagement temporel et physique important. Dans mon travail, la forme précède l’idée, je fonctionne instinctivement. Là, il s’est écoulé un an et demi sans voir à quoi ressemblerait le produit final », raconte l’artiste.

"Obake" du collectif Maison Courbe © Romain Fievet
Obake du collectif Maison Courbe © Romain Fievet

Lorsqu’on remarque ce rapport ambivalent à la matière, cette inversion entre le dedans et le dehors qui cache le précieux de l’émail et laisse d’abord observer, avant que l’on s’en approche, la surface rugueuse de la terre cuite brute, Julian Vogel détaille : « J’aime les choses nobles, mais j’aime aussi les choses brutes. La noblesse de la matière me donne l’occasion de la casser. Et quand cela casse, qu’est-ce qu’il se passe ? »

Cet agrès géant-là, en l’occurence, n’est pas destiné à se briser, mais plutôt à voyager dans différents lieux, comme un chapiteau de cirque, à partir de l’automne. Mais la venue à Lyon de son collaborateur a permis de nouer en parallèle une collaboration avec l’entreprise locale Revol, laquelle produit sur ses dessins 500 assiettes destinées à se briser d’une façon particulière et que l’on verra dans la création prévue ici même début octobre.

Pour le week-end d’ouverture de la saison haute des Subs, Hélène Leveau et Léo Manipoud mettaient d’ailleurs à l’épreuve la résistance de l’outil « Crescendo » dans un parcours d’acrobates effréné et libertaire qui les voyait grimper le long de cette ligne ascendante sous les rires généreux d’enfants et leurs parents. L’habileté des corps répondait à la légèreté apparente de la céramique suspendue.

Ce même week-end donnait l’occasion d’autres propositions circassiennes. Parmi elles, L’Instant T, solo à la roue Cyr de Juan Ignacio Tula, contre-emploi de l’agrès comme un hula-hoop géant au cours d’une demi-heure impressionnante, quand elle ne recourt pas à un embryon de narration trop commun pour égaler la prouesse. L’Argentin fait des merveilles quand il concentre l’attention sur la pure force kinétique de son outil, laissant son public suspendu, lui aussi.

Dans une des nombreuses salles des Subs, Nicolas Fraiseau incarnait, lui, un clown pyromane dans un spectacle court mais étincelant nommé Ignis. Le feu semble y prendre vie, se faisant l’outil de gags fulgurants et de petits poèmes visuels à tomber par terre. Ce spectacle précieux dont on apprend à la fin, pantois, qu’il ne s’agissait que d’une étape de création avait en commun avec l’installation à l’honneur d’être le résultat d’un jeu avec les flammes. Elles y réveillent une peur et une fascination primitives, essentielles. D’ici à l’automne, d’autres artistes seront invités à entrer en dialogue avec l’œuvre de Julian Vogel, jusqu’à un “crescendo final” dédié à la création suisse en Octobre, faisant de Lyon une antenne de plus pour une création helvète décidément foisonnante.


Un été crescendo
Les SUBS
8 bis Quai Saint-Vincent, 69001 Lyon
Du 2 mai au 6 octobre 2024

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