Dans l’église désacralisée du Vieux Saint-Étienne, un froid humide règne. Emmitouflé dans de grosses et chaudes couvertures, le public se laisse emporter dans un voyage dans le temps, où le passé et le présent se conjuguent et se confondent en une fresque humaine drôle autant qu’émouvante.
Sauvés par le gong
Au plateau, une jeune femme s’échauffe. Un peu gauche, elle se prépare à passer un concours de chant. On est en 1998 dans un petit village jurassien. Le trac la rend nerveuse. Ses mots galopent dans sa bouche, se chevauchent. Volubile pour ne pas flancher, elle se perd dans ses explications. Heureusement, ses amies viennent à sa rescousse. C’est le début d’une belle histoire, d’une plongée dans les méandres de la mémoire où des récits de vie s’entrecroisent. Depuis cette audition, vingt ans ont passé. Pourtant, rien ne semble avoir changé. Leur complicité semble intacte, leur lien indéfectible. Même le collège, pourtant à l’abandon, est resté à quelques murs délabrés près intact.
Rejointes par les garçons de la 3e B, tous ensemble, ils remontent les fils de leurs souvenirs et revivent avec délectation moments d’insouciance, premiers émois, premiers baisers et premières désillusions. Se glissant dans leur moi adolescent, ils jouent, chahutent, s’embrassent et montent des mythos. Leurs obsessions de l’époque remontent à la surface faire de la danse et surtout le faire ensemble. Problème, l’enseignante chargée de la discipline est partie depuis plusieurs mois menaçant le spectacle de fin d’année qui leur tient tant à cœur.
L’arrivée d’un nouveau prof, ancien danseur de ballet, charismatique autant qu’ambigu dans son comportement, va tout bouleverser. La petite bande risque l’implosion. Mais pas de panique, quoiqu’il arrive et même si la mort s’en mêle, le rendez-vous est pris. Dans 20 ans, jour pour jour, celui de cette éclipse de soleil qui a marqué la fin de leur adolescence, ils se retrouveront tous dans les locaux de cet établissement scolaire où est gravée sur et sous les tables tout un pan de leur jeune existence.
Chœur d’adolescents
Avec ingéniosité, le collectif BAJOUR tisse la trame d’un récit initiatique. Croquant avec justesse, les tics de l’adolescence ainsi que leurs visions naïves des profs, il invite le spectateur à retomber en enfance, à revivre tous ces moments depuis oubliés, les discussions entre copines, les premiers rencards foireux, les premiers troubles amoureux, l’éveil du désir, la transformation des corps et les premiers questionnements existentiels. Portée par une troupe particulièrement complice, la mise en scène du duo Leslie Bernard et Matthias Jacquin est parfaitement équilibrée et rythmée.
Deux heures durant, les spectateurs suivent avec passion cet Hartley cœur à vif français. Jamais pathos, toujours profondément humains, les BAJOUR esquissent le portrait de toute une génération. De Britney Spears – son évocation est un grand moment de drôlerie et d’émotion – à Daft Punk, en passant par Christina Aguilera ou Louise Attaque, les chants viennent souligner habilement les expériences vécues, heureuses ou traumatiques, les drames qui secouent cette bande de copains.
Incarné et vivant, le théâtre du collectif rennais fait mouche. Véritable bouffée d’oxygène, L’Éclipse se contemple avec joie. N’évitant aucun sujet, même les plus tragiques, il porte au plateau avec virtuosité de vrais moments de vie. Du bien bel ouvrage, plutôt rare ces temps-ci, sincère, intense et réjouissant !
Oliver Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Rennes
L’éclispe de Bajour
Création en février 2024 au Quartz – Scène nationale de Brest
Pièce présentée du 9 au 10 avril 2024 au Théâtre du vieux Saint-Etienne, Rennes, dans le cadre du Festival Mythos
Durée 1h50 environ
Tournée en cours de préparation pour la saison prochaine
Mise en scène de Leslie Bernard et Matthias Jacquin
avec Leslie Bernard, Julien Derivaz, Alicia Devidal, Douglas Grauwels, Matthias Jacquin, Hector Manuel, Asja Nadjar, Georges Slowick, Adèle Zouane
scénographiede Léa Jézéquel
Création lumières de Brice Helbert
Création sonore de Marine Iger
Direction musicale Matthias Jacquin
Création musique de Louis Katorze
Construction Des Décors Le Quartz
Régie Générale François Aupée