Recroquevillée sur une simple chaise grise, à peine éclairée d’une lumière diffuse, Clémentine Célarié, sur la scène de la Pépinière, a l’air d’avoir prématurément vieilli. Le regard hagard, le visage creusé, grave, elle semble perdue dans de lourdes pensées. Insufflant chair et âme au roman de David Lelait-Helo, la comédienne incarne au plateau Gabrielle de Mirmont. Élevée dans les stricts préceptes de la religion catholique par un père autoritaire, cette grande bourgeoise de province ne vit que pour Dieu et pour son unique fils, Pierre-Marie. Elle voue à ce dernier, qu’elle a eu sur le tard, un amour maternel sans borne mais aussi sans tendresse : ce sentiment, elle en est malheureusement dépourvue.
Remontant le fil de ses souvenirs, elle tente d’expliquer à un confesseur anonyme (le public) comment elle, la plus fidèle des croyantes, a pu basculer ainsi de la lumière divine aux ténèbres de l’enfer. Enfant sage, épouse modèle, mère comme il faut, elle traversait l’existence sobrement, modestement. Rien ne présageait le drame à venir. Distillant aux comptes gouttes les pièces du puzzle, à la manière d’un thriller, elle enquête au plus profond de son être pour comprendre ce qu’elle a pu faire ou ne pas faire pour que la chair de sa chair, qu’elle a modelé, construit pour qu’il soit un homme vertueux, ait pu tomber dans la pire des perversions : la pédophilie. Coupable, elle l’est forcément. Il ne peut en être autrement. Elle est La Mère du bourreau. Elle doit assumer toutes les conséquences de ce fardeau et agir en conséquence.
Partition magistrale
Pensées comme une sorte d’espace mental qui ressemble fortement à une cellule de monastère, la scénographie et les lumières d’Hermann Batz enferment le personnage dans ses propres retranchements. Entre ces murs gris, sales, sur lesquels les stigmates d’un salon bourgeois d’antan apparaissent sous forme spectrale, Clémentine Célarié habite jusqu’au bout cette « mère coupable »prête à tout pour prendre à soi les crimes de son tout petit, quitte à sombrer dans l’abîme le plus noir. Terriblement humaine, l’actrice, metteuse en scène et adaptatrice fait siens les mots de David Lelait-Leto. Se resserrant sur les moments de bascule, les instants où la foi vacille, elle éclaire le roman de son intense présence. Sans fard, évoquant les blessures à vif infligées par les actes pédophiles sur le corps et sur l’âme, elle se fait vibrante. Toute en justesse, en permanence sur le fil des émotions les plus contradictoires, elle est tout simplement magistrale.
Tour à tout furieuse, abasourdie, désabusée ou lucide, Clémentine Célarié brûle les planches en tragédienne virtuose !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Je suis la maman du bourreau de David Lelait-Helo
Théâtre de la Pépinière
7 rue Louis Le Grand
75002 Paris
Jusqu’au 4 mai 2024
Adaptation, interprétation et mise en scène de Clémentine Célarié
Musique de Gustave Reichert
Sons d’Abraham Diallo
Lumières & scénographie de Hermann Batz
Costumes d’Amélie Robert
Collaboration artistique – Laury André
Assistant – Alexandre de Schotten