Comment est né le projet GIMME A BREAK !!! ?
Baptiste Cazaux : À la suite d’un épisode dépressif vécu pendant le premier confinement. À ce moment-là, pour pallier mon mal-être, je passais beaucoup de temps à écouter des méditations guidées sur YouTube afin de calmer mon anxiété. C’était un moyen de me reconnecter à mon corps et à mes sensations, de me reconnecter au moment présent. En parallèle, j’ai commencé la pratique de DJ. Je passais donc beaucoup de temps à mixer, écouter et assembler de la musique. Cela me permettait de rester créatif à un moment où travailler en studio était impossible. J’ai passé des journées entières dans mon appartement de Bruxelles où je vivais à l’époque, à chercher les transitions parfaites et à danser en slip dans mon salon. Je trouvais là-dedans une forme réparatrice de lâcher prise. Ce sont des pratiques qui continuent de me suivre aujourd’hui. Quand il a été possible de sortir de nouveau et de faire la fête, j’ai commencé à mixer de temps en temps pour mes amis, dans des raves ou dans des lieux alternatifs de Genève où je vis maintenant. Je me suis rendu compte de la valeur de ces moments et de leurs qualités de défouloir. La fête est à mes yeux un lieu de la catharsis, un moyen d’évacuer les choses qui pèsent dans nos quotidiens et de libérer des endorphines. Je la vois désormais comme une stratégie de survie.
Plus concrètement, quand avez-vous débuté la création ?
Baptiste Cazaux : En mai 2021, dans le cadre de ma résidence à L’Abri à Genève, j’ai été invité à créer une courte performance. meditation on pretty fast music prenait la forme narrative d’une méditation guidée, comme celles que je faisais sur internet pendant le confinement, mais elle était interrompue par un moment de danse hardcore. Créer des formes courtes est devenu pour mou un moyen de lancer de nouvelles idées. J’ai donc eu envie de continuer cette recherche sur les pratiques méditatives et sur des formes danses extrêmes. Dans le cas présent, j’utilise le headbanging — mouvement oscillatoire de la tête normalement associé à la musique métal — comme matériel de base. Pour GIMME A BREAK !!! j’avais en premier lieu le désir de créer une pratique de méditation transcendantale et cette pratique est devenue le matériel principal du spectacle.
Pourquoi ce titre ?
Baptiste Cazaux : GIMME A BREAK !!! est un jeu de mot. C’est une expression anglophone, qui, traduite en français, signifie « laissez-moi tranquille ». J’ai décidé de l’écrire en majuscules comme s’il s’agissait d’un cri de colère, accompagné de ces trois points d’exclamations séparés du reste par un espace — ce qui, je sais, n’est pas correct — me permettant de faire apparaitre la ponctuation comme un symbole en soi, exprimant une forme de ras-le-bol. Mais GIMME A BREAK !!! fait également référence à un break de batterie. Pour le spectacle, je me suis énormément inspiré de la musique drum and bass. J’utilise notamment l’Amen break, sample emblématique du breakbeat et des musiques de rave des années 90 (hardcore, drum and bass, breakcore…) que je chante en boucle pendant le spectacle.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Baptiste Cazaux : Pour cette pièce, je me suis beaucoup inspiré des écrits de Simon Reynolds sur ce qu’il appelle le « hardcore continuum ». Simon Reynolds est un critique culturel et musical anglais, qui, dans les années 90, a suivi l’évolution de la scène rave UK en anthropologue de la fête. Je me suis également nourri des écrits de Mark Fisher sur le capitalisme, la dépression et la mélancolie. Le drum and bass a fait partie du processus depuis le debut de la recherche. C’est une musique qui se qualifie par sa rythmicité et sa discontinuité, alliant des samples de batterie percussifs et des lignes de basses plutôt rondes et chaleureuses. J’ai cherché par ma pratique de mouvement à retranscrire ce vocabulaire. Je suis aussi extrêmement inspiré par l’énergie du duo américain 100 gecs. Iels marient parfaitement une énergie punk et une forme de goofiness qui me touche profondément. Je me tourne très souvent vers leur musique quand je me sens en panne d’inspiration. Cela me fait une sorte de rappel à l’ordre, me rappelant que tout est possible. Leur musique est présente dans GIMME A BREAK !!! de manière dissimulée et imperceptible, mais cette présence fantôme m’anime et me rassure.
Comment définiriez-vous votre écriture ?
Baptiste Cazaux : Je travaille beaucoup avec l’improvisation, tout en prenant comme point de départ des éléments formels. À partir cela, je crée des pratiques de composition instantanée qui me permettent l’écriture de la pièce pendant le temps de la performance. Cela me permet de garder une forme de liberté et de fraîcheur. Je travaille beaucoup avec mon instinct, mon ressenti et ma sensibilité en live, au plateau. Plus généralement, j’ai une démarche d’extraction. J’emprunte des éléments de leurs contextes originaux pour en garder leurs symboliques. J’essaye de les assembler les uns avec les autres de manière à leur donner des sens nouveaux propres aux spectacles que je crée. J’essaye d’allier à la fois un travail pratique de corps et un travail conceptuel.
Comment travaillez-vous le rapport entre corps et pulsation musicale ?
Baptiste Cazaux : L’Amen break, que je chante comme un mantra pendant la performance, me sert à la fois de constance rythmique me permettant de transformer rythmiquement le mouvement et il me sert également d’inducteur transcendantal. Par la répétition du headbanging et du mantra, je rentre dans un état de conscience altéré proche de celui d’une transe, me permettant de laisser les transformations arriver de manière plus ou moins involontaire.
Quels sont vos autres projets ?
Baptiste Cazaux : Je suis actuellement en recherche pour une nouvelle production qui est en quelque sorte dans la continuité de GIMME A BREAK !!!. J’aimerais parler de ma peur du futur en continuant mon travail sur les danses populaires liées à la musique tout en continuant mon approche musicale de la performance. À l’heure actuelle, j’imagine un projet imprégné de ruines, de culture yolo, de musique dubstep et de party anthems de mon adolescence. Je continue également ma pratique de DJ ainsi que mon travail d’interprète : je danserai prochainement dans Bless This Mess, la nouvelle création de Katerina Andreou.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
GIMME A BREAK !!! (2023) de Baptiste Cazaux
Présenté à l’abri à Genève en septembre 2023 dans le cadre du Festival La Bâtie
Tournée
19 mars 2024 au KLAP (Marseille)
6 avril 2024 à Pôle-Sud – CDCN (Strasbourg)
27 & 28 juin 2024 au Grutli (Genève)
5 & 6 juillet 2024 au Festival de la Cité (Lausanne)
9 & 11 juillet 2024 au Festival Santarcangelo (Santarcangelo di Romana)
23 août 2024 au B-Motion (Bassano del Grappa)
15 septembre 2024 au Venere en teatro (Venise)
7 décembre 2024 au CND (Paris)
Musique d’Être Peintre
Son de Gaspard Perdrisat
Lumière de Justine Bouillet
Assistanat – Lisa Laurent
Dramaturgie de Johanna Hilari