En fuyant l’Espagne franquiste en 1955, pour s’installer en France, Fernando Arrabal est devenu un des auteurs majeurs qui aura marqué le théâtre des années 1960-1970. Son credo, « un théâtre de l’excès et de la dérision ». Sur ce ton particulier, très sarcastique, il s’est fait le témoin des « grands qui ont fait le XXe siècle, tant politiquement qu’artistiquement ». De cet esprit libre, très marqué par son époque, on pouvait craindre que la patine du temps ait fait souffler sur son œuvre quelque chose de dépassé. Or, à l’écoute de ce véritable objet de curiosité, Le cimetière des voitures (1958), interdit longtemps, on se rend compte qu’il n’en est rien et que cela parle encore.
Qu’est ce qui sauvera le monde de la casse ?
Dans un monde du futur, où tout n’est plus que désolation, la musique est interdite et la milice veille. Depuis quelque temps un certain Emanou (épatant Guillaume Geoffroy), nargue l’interdiction. Avec d’autres musiciens, il se pose ici et là, pour donner des concerts aux pauvres. Veillant les uns sur les autres, la troupe débarque dans un endroit étrange. Un cimetière de voitures qui serait aussi un hôtel. Ce complexe bizarre est tenu par un homme ambigu qui n’hésite pas à prostituer sa femme Dila (émouvante Marjory Gesbert). Tel un Judas, l’un des proches donnera Emanou à la milice. Elle en fera un martyre sous les larmes de Dila, la femme au grand cœur.
Les métaphores sont très nettes. C’est une transposition de l’histoire de Jésus de Nazareth dans un univers d’anticipation. Le prénom du héros, Emanou, n’est que la transcription d’Emmanuel, ou en hébreux Immanou-El, qui veut dire « Dieu est avec nous ». En partant de l’histoire biblique, Arrabal explore les dangers qui menaçaient la société de son époque. Ces menaces sont aujourd’hui devenues des réalités. C’est en cela que son texte prend des résonances étonnantes. Avec l’accord de l’auteur, le metteur en scène Gil Galliot, a coupé certaines scènes et les a même mélangées. Pour éclaircir le propos, il a même rajouté des extraits d’autres œuvres. Même si par sa densité, le texte peut dérouter, il en ressort, une pièce dynamisée qui prend tout son sens dans notre monde d’aujourd’hui.
Un beau terrain de jeux
Gil Galliot a un parcours très étonnant et éclectique (La contrebasse, Ma vie en aparté, Ma parole !, Psycause(s), Open space). Cet amoureux de l’art dramatique rend, par sa mise en scène, un hommage à ce grand metteur en scène suisse brechtien Benno Besson qui a su redonner aux masques leurs lettres de noblesse. Les personnages étant cagoules, cela permet aux corps d’exprimer bien plus de choses que la simple parole. Marjory Gesbert, Guillaume Geoffroy, Jérémie Lemaire, Clément Vieu, Fred Rubio, Pascal Castelletta, jouant sur les différents registres avec habileté, sont formidables.
L’humour est une des armes de guerre qui permet de souligner la noirceur du monde et de certains êtres. Le spectacle est ainsi nourri de traits d’esprits aussi subtils que drôles. Oscillant entre le grotesque et le dramatique, on se perd parfois dans cette farce exubérante mais on s’y retrouve, parce que c’est une œuvre forte.
Marie-Céline Nivière
Le cimetière des voitures de Fernando Arrabal
Théâtre de l’Épée de bois
La cartoucherie – Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Du 4 au 21 avril 2024
Durée 1h30
Mise en scène de Gil Galliot
Avec Marjory Gesbert, Guillaume Geoffroy, Jérémy Lemaire, Frédéric Rubio, Clément Vieu et Pascal Castelletta.
Scénographie d’Alain Lagarde
Costumes de Chouchane Abello Tcherpachian
Création sonore de Thibault Caligaris
Lumières de Charly Thicot
Merci Marie Celine pour ce bel article sur « Le Cimetiere des voitures ».
Une troupe formidable, un metteur en scène attentif ,généreux et très agréable à travailler ! Une redécouverte d’Arrabal que j’avais vu il y a plus de 20 ans! Quant à ce theatre quel plaisir de le retrouver!!
A bientôt,
Chouchane