Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Ce n’est pas vraiment le premier, mais peut-être le plus fondateur pour moi : L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves d’Ariane Mnouchkine. Bien sûr, le spectacle lui-même était un véritable choc, mais l’aménagement du hall, la cuisine indienne proposée, les odeurs, toute cette mise en scène dès l’entrée du théâtre nous plongeait déjà dans le récit. Il y avait une véritable immersion dans un geste artistique.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Ma mère était peintre, j’ai grandi dans l’univers des arts plastiques et des musées. Je pense que mon désir du spectacle vivant vient plutôt du fait que j’étais un peu dans un monde parallèle. Je vivais dans un château presque en ruine, partagé avec plusieurs locataires, il y avait des restes de fontaine, des résidus de bosquets, des escaliers moyenâgeux et une poésie d’un monde totalement décalé de la réalité. Dans cette atmosphère, je m’inventais sans cesse des histoires. Puis, j’ai découvert Molière. Les personnages de théâtre pouvaient alors habiter mon univers.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être metteuse en scène ?
Enfant, j’étais terrorisée par la moindre histoire. Je les ”subissais“. Mettre en scène, c’est peut-être être à l’origine et donc maîtriser le récit pour ne plus avoir peur. Le metteur en scène, c’est lui qui sculpte les nœuds dramaturgiques, qui les mets en exergue et en lumière.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
J’ai commencé ma vie professionnelle en tant que chanteuse, dans un spectacle concert mis en scène par Pierre Debauche, à partir de textes de Boris Vian, Boby Lapointe et Francis Blanche. Je ne me sentais pas légitime, avoir une belle tournée à tout juste dix-huit ans était un cadeau tellement grand ! J’avais aussi un rapport compliqué avec le chant. La voix est l’élément le plus intime de soi, on est complètement à nu devant les autres. A cette époque, je n’arrivais pas à assumer cette place, c’était donc douloureux et c’était en même temps le plus grand plaisir que j’ai éprouvé sur scène. Aujourd’hui, je crois que le seul regret que j’ai vraiment, c’est d’avoir arrêté de chanter.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Misericordia d’Emma Dante, Le Crocodile trompeur de Jeanne Candel et Samuel Achache, Moeder de Peeping Tom. Des équipes où la danse et la musique sont au cœur de la démarche.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Quand j’étais à l’unité nomade de mise en scène au CNSAD, nous avons fait un stage à Cracovie avec Krystian Lupa. J’ai senti une évidence avec son travail avec les acteurs, sa poésie. C’est comme si ses exercices avaient toujours fait partie de moi mais il avait un cadre, une méthode, et il m’a donné le goût de la transmission.
En quoi votre métier est essentiel-il à votre équilibre ?
Porter des projets, mettre en scène, ne peut être qu’une mise en danger, un déséquilibre et une mise en doute permanente de toutes certitudes. Mais c’est ce déséquilibre qui met en mouvement et pousse à m’interroger et chercher. Même si c’est inconfortable, ce déséquilibre permet d’être toujours en éveil et curieux du monde.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Le sentiment d’inadaptation au monde. Alors je regarde le réel de travers, de biais.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Une survie festive.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
L’épiderme.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Iris Van Herpen, créatrice de mode, et Gabriela Carrizo, metteure en scène chez Peeping Tom.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
La construction d’un théâtre éco-responsable.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Voir un ami pleurer de Jacques Brel.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Toute nue ! d’après Mais n’te promène donc pas toute nue de Georges Feydeau et inspiré de Lars Norén
Conception d’Émilie Anna Maillet
création janvier 2020 à la Comédie de Saint-Etienne
Durée 1h15
Reprise
16 au 26 mai 2024 à La Tempête
Tournée
31 janvier 2020 à la Salle Pablo Picasso, La Norville
26 février au 21 mars 2020 au Théâtre Paris-Villette.
Dramaturgie et mise en scène d’Emilie Anna Maillet
avec Sébastien Lalanne, Denis Lejeune, Marion Suzanne, Simon Terrenoire ou Mathieu Perotto, et François Merville (batterie)
Scénographie de Benjamin Gabrié
création vidéo de Maxime Lethelier et Jean François Batista Domingues création musicale de François Merville
lumière et régie générale de Laurent Beucher
son de Jean-François Batista Domingues