Depuis six édition, 100% L’Expo formule chaque année la promesse d’une image plurielle de la jeune création. Les artistes exposés ici ont entre 22 et 28 ans. Toutes et tous ont été diplômés dans les cinq dernières années d’écoles supérieures d’art, à Nantes, Marseille, Nice, Cergy ou Paris. Leurs niveaux de visibilité varient un peu, mais pour beaucoup d’entre eux, l’espace vaste de La Villette est la première vitrine de cette taille. Aussi se mélangent les formats, de petites installations d’objets à des salles entières, mais contrairement à d’autres années, c’est le concept et l’installation qui primeront jusqu’à la fin du mois dans la grande halle.
On attend souvent des jeunes artistes, à fortiori dans le champ de l’art contemporain, une capacité particulière à figurer une sorte d’hyper-présent, poussant à l’extrême les formes disponibles pour en tirer de nouvelles expressions. Parmi les plus saillantes de ces visions se trouve l’Hyperballad de Théo Pézeril, une installation autour de sculptures entre l’accessoire et l’agrès : des bottes dont la semelle s’allonge en lame recourbée devant le pied, et une selle juchée sur deux arcs de cercle en métal. L’invitation à l’imaginaire BDSM associée à ces compositions de métal et de cuir sont, dans l’œuvre, redoublés d’une sublimation du fétichisme de la marchandise, la vidéo projetée à l’arrière fonctionnant selon les codes du marketing de produit, suggérant un futur des imaginaires creusé dans la représentation capitaliste.
Visions organiques
Du reste, du présent auguré ici, il est surtout question de matières, de leur sédimentation, leur croissance ou leur dégénérescence. Il y a le mobilier de jardin devenu peau de Louise-Margot Décombas, où les objets du quotidien gonflés et épidermiques, deviennent des surfaces de réconfort ou d’attraction. Les matelas d’Évangeline Font, brodés d’images, semblent eux entièrement colorés de sécrétions imaginaires qui leur donnent des teintes riches et satinées. Chez Alix Bugat les formes organiques de motifs techno-gothiques sont poussés à leur extrême baroque.
Ailleurs, là où Caroline Vergotte sculpte des plantes hypertrophiées très cronenbergiennes, le duo Anastasia Simonin–Kazuo Marsden imagine un hybride de sellerie et de botanique avec une grande orchidée en cuir avec deux manettes aux formes organiques qui évoque elle aussi le cinéma posthumain du réalisateur canadien. Solveig Burkhard, elle, réalise une installation ultra immersive et étouffante, salle d’attente d’un centre pédopsychiatrique après l’apocalypse nucléaire, qui dialogue autant avec Fukushima et Tchernobyl (où l’artiste a mené ses recherches) qu’avec les urgences sociales liées à l’enfance.
Être artiste pour demain
« Ces jeunes artistes arrivent dans un monde de l’art assez fracturé », explique Inès Geoffroy, commissaire de l’exposition, pas si éloignée, à trente-quatre ans, de cet âge-là. « Alors que les générations passées ont fonctionné sur le mode du star system, celle-ci essaie de changer de paradigme et de s’entraider. Il y a beaucoup de syndicats dans les écoles d’art, toute la jeune création prend à bras le corps la question de la continuité des revenus des artistes-auteurs. » Pour exemple, l’œuvre de Marcelle Germaine, dans l’espace central, s’offre comme une caisse de résonances pour les doutes de ces sortants d’école face à leur avenir.
Dans cet art qui hyper-conscientise son époque, la réflexion décoloniale fait aussi nécessairement son chemin. C’est le cas chez des artistes comme Tremos, Lisa Derocle Ho-Léong, laquelle recrée la cuisine de ses grands-parents, îlot culturel d’un foyer de Réunionnais venus vivre en Métropole, ou Laura Rodière, travaillant l’archive de l’action de la France à Tahiti. La franco-palestinienne Lola Sahar montre, elle, une installation d’œuvres en hommage à la culture et au patrimoine de la Palestine, mais aussi à l’honneur des maisons détruites par l’État israélien ; ailleurs dans l’exposition, une affiche « Free Palestine » lui fait écho.
Hommages et mémoires
D’autres œuvres se détachent, soit parce qu’elles renouent avec la surface plane de la toile ou du panneau (Lina Goudjil, Bérénice Vargas-Bravo, Luisa Ardila Camacho), soit parce qu’elles investissent des terrains singuliers. Il y a deux belles séries d’œuvres elles aussi liées à la mémoire dans l’exposition : les foulards en soie figurant sur l’objet même usines textiles abandonnées d’Alsace chez Marine Fuchs-Nieder, et le mausolée aux personnes transgenre racisées de Maty Biayenda.
Singulière et émouvante, Colorine de George-Juliette Ayrault, diplômé des arts déco, invite à s’y arrêter. L’artiste a accroché des stores blancs, fait briller quelques lumières dessus. C’est de la récup sans apparence de récup, où les modulations de la lumière réfractée en arc-en-ciel trompent le jaunissment de ces vieux stores de Californie : où l’imaginaire d’une Amérique désuète se superpose à une strate d’abstraction pure. L’exposition, gratuite, court jusqu’au 28 avril, et vaut aussi le détour pour le simple plaisir de pouvoir trouver ses pépites parmi cette riche sélection.
Samuel Gleyze-Esteban
100% L’Expo
Grande Halle de la Villette
211 Av. Jean Jaurès, 75019 Paris
Du 27 mars au 28 avril 2024