La Naissance du tambour de Josué Mugisha et Dorcy Rugamba © Christophe Péan
La Naissance du tambour de Josué Mugisha et Dorcy Rugamba © Christophe Péan

Zébrures de Printemps 2024 : éclectisme et pluralité au rendez-vous

À Limoges, au CCM Jean Gagnant, la session printanière du festival des Francophonies fait carton plein. À travers une dizaine de textes, les différentes lectures présentées invitent à un voyage immobile entre fiction et réalité.

En ce week-end de fin mars, le soleil est à son zénith et Limoges sort de son enclave pour mieux rayonner à l’internationale. Dans le hall d’entrée du Centre culturel municipal, spectateurs du cru, auteurs, artistes et professionnels du monde entier se côtoient dans une ambiance chaleureuse et bigarrée. Les échanges sont multiples et hauts en couleurs. Certaines conversations se prolongent sur la terrasse, histoire de prendre l’air. D’autres se poursuivent autour d’un café, ou à proximité de la librairie improvisée pour l’occasion. Véritable temps fort de la saison limougeaude, les lectures théâtralisées des Zébrures de printemps mettent en avant les écritures d’auteurs et d’autrices francophones contemporains émergents autant que confirmés. 

À cœur ouvert d'Éric Delphin Kwégoué © Christophe Péan
À cœur ouvert d’Éric Delphin Kwégoué © Christophe Péan

S’emparant de faits divers, de questions d’actualité ou de leur propre histoire, les artistes venant du Cameroun, de république du Congo, de Guyane, des Comores ou de Belgique portent au plateau des récits de vie, des drames, des contes et des dystopies. Les uns alertent sur les dérives de systèmes politiques gangrénés par la corruption, d’autres questionnent identités et héritages. Tous ont comme point commun d’inviter le public à changer de point de vue pour éclairer différemment le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain. 

Un crime a été commis. Un journaliste a été sauvagement assassiné. Sa mort dans de terribles conditions a fait la une des journaux et a provoqué un immense choc au Cameroun, en 2023. De ce drame, Éric Delphin Kwégoué tire un thriller haletant, À cœur ouvert, où se dessinent en filigrane le portrait d’un pays en proie aux multiples crises sociales et politiques, ainsi qu’un beau plaidoyer pour le métier de journaliste, dernier rempart contre les totalitarismes. 

Abordant différemment l’histoire de son pays, les Comores, Soeuf Elbadawi s’inspire lui aussi de faits réels et propose, avec Je suis blanc et je vous merde, une plongée fictionnelle mais extrêmement documentée sur les liens ambiguës qui unissent encore le gouvernement de son pays avec la France. Interrogant sur la notion même de couleur de peau (est-ce que blanc signifie vraiment être blanc ?), il signe une fresque passionnante et prometteuse autour de la difficile décolonisation. On pourra la redécouvrir sous sa forme théâtrale en octobre prochain, lors des Zébrures d’automne.

Autre actualité brûlante, qui met à feu et à sang une partie des pays d’Afrique subsaharienne, le djihadisme. Aristide Tarnadga, directeur du festival des Récréâtrales, basé à Ouagadougou, immerge le spectateur dans le quotidien de deux femmes, qui ont fait le choix de faire face aux terroristes qui régulièrement assaillissent leur village, de rester là, de lutter, de faire front au nom de leurs racines, de leurs maris et de leurs fils partis chercher ailleurs un sens à leur vie. Les uns sont morts en combattant, les autres ont tenté l’aventure européenne dans l’espoir d’un avenir meilleur. Seules, face à des choix tragiques, elles tiennent en respect leurs ennemis et tentent malgré tout de protéger les leurs de la folie de la guerre. 

Dans Bois diable, pièce encore en écriture, Alexandra Guénin mêle petite et grande histoire, réel et fantasmagorie. Découvrant à la mort de son père, qu’elle n’a que peu connu, le pays de ses ancêtres, Amaté, son personnage principal, se confronte à des croyances et à des cultures bien loin de l’esprit cartésien, qui jusqu’ alors lui a servi de ligne directrice. Assaillie par les fantômes du passé, par des djinns malicieux autant qu’inquiétant, la jeune femme part sur les traces de ses aïeuls et emprunte les voies maritimes du commerce triangulaire. Un voyage en eaux troubles entre hier et aujourd’hui ! 

Autres luttes, autres combats, Avec LunePamela Ghislain attaque le fondement même du patriarcat étatique et imagine une fable noire dans laquelle une femme vivant dans le quartier bruxellois de Schaerbeek décide de porter plainte contre l’état pour manquement dans la lutte pour l’égalité homme-femme. Le projet est fou. Personne ne semble y croire. Il faut dire que la situation semble au premier abord ubuesque, même aux autres femmes de cette puissante dystopie. Pourtant, Lune, droite dans ses bottes, ne fléchit pas, quitte à y laisser sa peau. Elle veut que justice soit faite, que le gouvernement innervé d’un patriarcat crasse prenne conscience de son inaction.

Évoquant la place des femmes dans l’extrême-Nord du Cameroun, Nadale Fidine signe avec Wilé ! , un drame où se conjuguent croyances ancestrales, convictions viscérales et tragédies intemporelles. Un soir comme un autre, une mère se retrouve confrontée à la disparition d’un de ses enfants, son seul fils. Où se cache ce gamin facétieux, sur lequel, en raison de son sexe forcément faible, elle n’a aucune autorité ? Au cœur du foyer deux mondes s’affrontent l’un viril et confit de certitude, l’autre combatif et réaliste. Faute d’avoir droit à la parole, c’est par le chant que le cri maternel va s’exprimer et que sa lutte contre une réalité trop sanglante va commencer. 

Toutes les langues ne sont pas parlées, toutes les langues ne sont pas audibles ou compréhensibles. S’inspirant d’un mythe du Burundi, le chorégraphe Josué Mugisha et le poète Dorcy Rugamba conjuguent leurs talents autour d’une fable entre raison et passion, entre pouvoir étatique et pouvoir surnaturel. Empreints d’une culture du tambour, les deux artistes offrent aux festivaliers limougeauds une première étape de travail où le corps du Josué Mugisha se laisse porter par les mots et traverser par les percussions jusqu’à la transe. 

S’imprégnant des langues qui depuis l’enfance, la bercent, l’entourent et nourissent son imaginaire, Mélissa Mambo Bangala, élève entrée en 2023 à l’ENSATT en écriture dramatique, présente sa toute première pièce, Dictionnaire de la rouille. Auréolée du prix Etc_Caraïbe, la jeune artiste invente à partir de langages distincts une nouvelle manière d’échanger, de faire dialogue malgré les différences, les origines et des chemins de vies très éloignés. 

Loin de son Canada natale, Émilie Monnet convoque les esprits de ses ancêtres et part à la recherche d’un langage oublié, celui qui permettait de dialoguer avec les arbres et de communier avec la nature. Fable d’aujourd’hui faisant écho avec les problématiques écologiques, Polyglotte [Titre provisoire] est aussi le récit d’une autrice qui voit dans les mots, les langues, une manière de faire lien, d’imaginer un avenir où la poésie l’emporterait sur la barbarie, où la musique comme le dit si bien l’adage, adoucirait les mœurs et permettrait une union sacrée entre les hommes et leur environnement. 

Les Zébrures du printemps s’achèvent. Les promesses de découvertes ont été tenues. Les voix des artistes ont été entendues. Leur engagement pour que les Francophonies dans toutes leurs diversités soient sous les feux des projecteurs, respecté. Le chemin vers la scène peut commencer. L’automne s’annonce déjà au loin sous de biens beaux auspices !


Les Zébrures de printemps 
du 19 au 24 mars 2024
CCM Jean Gagnant 
7 avenue Jean Gagnant
87000 Limoges

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