Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
Pierre-François Garel : D’arrêter le sport. J’en avais ras le bol de l’esprit de compétition inhérent à ce genre d’activité physique. Je voulais bien me dépenser mais autrement. Lors d’une conversation avec ma mère, l’idée de m’inscrire à un cours de théâtre est venue sur le tapis. C’est ainsi que tout a commencé.
Qu’est-ce qui vous a plu ?
Pierre-François Garel : instinctivement, je dirais que j’y ai trouvé un endroit de libre expression, qui me correspondait et dont j’avais besoin. Je n’ai pas eu tout de suite un rapport au texte, au style. C’était surtout à l’époque des cours d’improvisation, donc c’est clairement cet espace inattendu où tout semble possible.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet de porter au plateau le roman de Christine Angot ?
Pierre-François Garel : Par Stanislas Nordey. Quelques mois avant le lancement du projet, je lui avais envoyé une lettre lui exprimant tout le regret que j’avais eu de ne pas avoir pu suivre son enseignement quand il était directeur pédagogique du TNB à Rennes et qu’à l’occasion j’aimerais que l’on se rencontre. J’ai grandi à Dinan. Je ne connaissais que peu de chose au théâtre public. Je l’ai découvert en arrivant à Rennes quand j’ai intégré le conservatoire de la ville pour mes études préparatoires aux grandes écoles de Théâtre. J’ai tenté plusieurs concours. Alors que j’étais sélectionné pour le second tour pour entrer à l’école du TNB, j’ai été admis au Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris. J’ai hésité à faire le stage, notamment pour rencontrer Stanislas, et puis j’ai décliné pour laisser ma place à un de ceux qui étaient sur liste d’attente. Le rendez-vous à l’époque a donc été manqué. Mon courrier a reçu un bel écho. Très vite, il m’a répondu en me disant qu’en effet ce serait formidable de faire connaissance, d’autant plus que cela faisait deux trois ans qu’il parlait de moi avec sa plus proche collaboratrice Claire Ingrid Cottenceau. Dans la foulée, on s’est croisé pour voir de quelle manière nous pourrions travailler ensemble. Il était en plein processus d’adaptation du Voyage dans l’Est de Christine Angot. Il m’a proposé d’interpréter le père, tout en m’avertissant que ce n’était certes pas un gros rôle, mais que c’était clairement complexe à jouer. Je n’ai pas hésité.
Qu’est-ce qui vous a plus dans ce texte, somme toute, assez dur ?
Pierre-François Garel : Depuis plusieurs années, je m’intéresse aux écrits de Christine Angot. J’avais d’ailleurs lu le livre à sa sortie en 2021. À l’époque, j’étais à Lille en pleine création avec Alain Françon, de La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux. Il connaît bien Angot. Ensemble, nous en avons beaucoup discuté. Ce qui m’a le plus frappé, c’est comment à travers son phrasé, ses mots, sa ponctuation, elle apparaissait en filigrane des lignes. C’est la première fois que je ressentais cela en la lisant. Elle était physiquement présente dans le texte. C’est comme si j’entendais sa voix. Je me suis dit, elle a enfin trouvé ce quelque chose autour duquel elle tournait depuis plusieurs années. Donc quand Stanislas m’a présenté le projet. Tout m’est revenu en mémoire. J’étais plus que ravi de travailler avec lui et tout particulièrement sur cette œuvre. Par ailleurs, de par mon parcours, je suis plus habitué aux classiques. Je m’aventure rarement dans le contemporain, car souvent on y retrouve tous les stigmates de l’écriture de plateau. Que ce soit avec La Septième d’après le roman de Tristan Garcia, ou ici avec le Voyage dans l’Est, on est vraiment sur une écriture romancée et romanesque. Il faut donc l’adapter pour lui donner une oralité, la rendre accessible au plateau sans pour autant en dénaturer la teneur. C’est un défi que je trouve assez passionnant.
Comment aborde-t-on ce personnage du père incestueux, autant charismatique que détestable, voir haïssable ?
Pierre-François Garel : Stanislas m’a demandé au tout début des répétitions, si j’avais des idées par rapport au personnage. Je n’en avais aucune. Pour donner corps au rôle que j’incarne, j’ai besoin de les éprouver au plateau. Avant ce n’est que verbiage sans intérêt, pensées en tous sens, qui ne vont pas plus loin que cela. Par conséquent, tout le travail a consisté, à la demande de Stanislas, de faire glisser l’image potentielle du père vers un ailleurs où il ne serait pas figé. Il était important de ne pas l’ancrer dans sa figure de père incestueux, de grand méchant loup attendu. En tout je n’ai pas essayé de composer un personnage, de lui trouver un background. Je n’ai pas tenté de lui trouver des excuses. Pour moi, il est comme un clown qui apparait au début du spectacle et disparaît à la fin. Ceux qui viennent voir la pièce savent à quoi s’attendre, savent ce qu’il a fait. Ce n’est pas la peine de surligner ses travers. Il fallait donc trouver un endroit de jeu où apparaisse de lui quelque chose d’un peu flou, de tremblant, de vibrant. On a dû y arriver car un soir à Strasbourg, une dame qui avait connu Pierre Angot, m’a dit qu’elle avait été choquée par mon interprétation. Quand je lui ai répondu, pourquoi ? Elle m’a tout simplement dit, c’est exactement lui. Le mimétisme est incroyable. C’est assez troublant, d’autant que ce n’est absolument pas cela que nous avons travaillé et surtout que je n’ai pas cherché à l’imiter ou à savoir comment il était. D’ailleurs, il y a peu d’informations et pas de photo de lui sur Internet.
D’ailleurs qu’elles ont été les consignes de Stanislas Nordey lors des répétitions ?
Pierre-François Garel : Assez simple. Il m’a mis à un endroit de travail assez solitaire. Mon parcours est finalement un long monologue, entrecoupé des textes des autres comédiens. Je suis d’ailleurs sur scène souvent seul à jardin. Les autres personnages gravitent autour de moi sans vraiment interagir. C’est comme si je traversais la pièce comme un spectre quasi immobile, aux gestes très lents. C’est presque quelqu’un d’abstrait dans sa consistance. Il est à la fois omniscient et empreint d’une grande solitude.
Et travailler avec Stanislas alors ?
Pierre-François Garel : une belle expérience que j’espère poursuivre. J’aime bien les collaborations qui durent. J’ai besoin de temps pour me familiariser avec un style, un esthétisme, un univers. Je me livre peu. Je m’ouvre aux autres lentement. Il faut du temps pour m’apprivoiser et réciproquement. Alors je souhaite que d’autres aventures nous réunissent au plateau.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Voyage dans l’Est de Christine Angot
création en novembre 2023 au TNS
reprise du 1er au 15 mars 2024 à Nanterre – Les Amandiers
Durée 2h30
Mise en scène de Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique de Claire Ingrid Cottanceau
Avec Carla Audebaud, Cécile Brune, Claude Duparfait, Pierre-François Garel, Charline Grand, Moanda Daddy Kamono, Julie Moreau, en alternance les 6 et 7 décembre avec Claire ingrid Cottanceau
Scénographie d’Emmanuel Clolus
Costumes d’Anaïs Romand
Lumière de Stéphanie Daniel
Vidéo de Jérémie Bernaert
Cadre – Félicien Cottanceau
Musique d’Olivier Mellano
Enregistrement piano – Barbara Dang