Roméo et Juliette seront amants et finiront dans le sang. C’est la première image qui s’offre au public : un lit où sont réunis leurs corps ensanglantés. Car Vérone est devenue l’ « Institute Verona » où sont rassemblés de pauvres jeunes gens jugés dangereux pour la société. Un asile bien blanc qui cligne de l’œil à la version « psychiatrique » de Giselle par Mats Ek. Ça commence par les fameux « pap ada papa, padapapa » de la danse des Chevaliers et ce tube sera réutilisé à l’envi durant toute la représentation. On ignore le motif de la présence de Juliette mais le fait d’être jeune, femme et enfermée fait d’elle la victime idéale d’un gardien bestial. Il la viole. Roméo est le fils dérangeant d’une famille riche qui veut se débarrasser de son rejeton et paye grassement son séjour dans ce paradis blanc.
où va Juliette, que fait Roméo ?
Matthew Bourne qui avait enchanté avec sa version gay et si intelligente du Lac des cygnes ne réussit pas cette version et si la danse dans son « Lac » conduisait l’histoire, ici elle est si pauvrement saccadée qu’elle brasse de l’air. Tout s’amenuise et se répète : les mouvements, les séquences, les envols… Enfin, le ballet (la pièce) ne sait pas sur quel pied danser : Est-ce un show à l’américaine, avec son bel escalier central blanc bien sûr et son balcon à double dessein (le danger de s’y trouver déséquilibré et le lieu où se danse l’amour « Romeo, Ô Romeo ») – un bon point au décor de Lez Brotherston – ou bien une production qui navigue entre showbiz et théâtre dansé avec une trentaine d’interprètes qui font ce qu’ils peuvent pour défendre un scénario sans intérêt ? Et ils s’en donnent du mal, ces solistes ou corps de ballet, encore faut-il…
Bref Juju rencontre Roméo, mais ne cherchez pas de clans ennemis, il n’y en a plus. Le bal : OK. Coup de foudre Ok. Bagarre, meurtre d’un jeune (on ne sait plus, Mercutio, Tybalt ?). le gardien violeur de Juliette arrive, tout le monde se ligue contre lui Juliette en tête et il est tué. Juliette sous le coup des psychotropes a des hallucinations et poignarde son Romeo en pensant tuer encore le gardien. Comment s’est-elle procuré le poignard ? Ah ah !
Des héros shakespeariens en perte de repères
On sait combien Matthew Bourne (Sir Matthew Bourne !) aime détourner les codes et se joue, avec finesse, des cadres assez rigides du ballet classique. La narration, populaire, issue des contes, ou largement imagée, lui offre un bon terrain d’enquête et de transposition. Adapter, offrir une nouvelle lecture c’est une voie royale ou casse-gueule. Qu’apporte donc cette version « dans les vaps » avec l’emprisonnement des jeunes gens dans un carcan de conventions forcément réductrices, la brutalité du monde, la loi de l’argent et du mensonge, le triomphe du désir, la folie ? Ce spectacle créé en 2019 et présenté seulement maintenant en Europe, souffre de trop et de trop peu et la danse a beau se démener, elle n’apparait que comme un prétexte.
Brigitte Hernandez
Romeo + Juliet d’après la musique de Prokofiev
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet
75001 Paris
Jusqu’au 28 mars 2024
Chorégraphie de Matthew Bourne
Avec les solistes Romeo Paris Fitzpatrick, Andrew Monaghan, Juliet Monique Jonas, Bryony Pennington, Tybalt Danny Reubens, Richard Winsor.
Je suis désolé, Madame Hernandez, que vous soyez passée à côté de ce merveilleux ballet dansé par de magnifiques jeunes danseurs/danseuses-comédie(ne)s. Lors de la représentation à laquelle j’ai assisté ils ont remporté un très grand succès.