Ce que fait Betty Tchomanga tous les soirs au théâtre de la Bastille, dont la saison réserve de belles surprises, n’est pas simple. C’est une chose de s’offrir au regard du public, c’en est une autre de tordre le visage nu et offert que désignait le philosophe Lévinas pour le transformer en masque, remplaçant une tradition métaphysique par une autre. On connaissait la danseuse formée au Cndc d’Angers en tant qu’interprète chez Marlene Monteiro Freitas. De la chorégraphe capverdienne, elle a appris l’art de la grimace, et dans le bien nommé Mascarades, la face contractée et déformée devient le terrain d’apparitions monstrueuses qui nous sautent à la figure.
Mami Wata, divinité vaudoue d’Afrique de l’Ouest et notamment du Cameroun où est né le père de l’artiste, sirène envoûtante et dangereuse, sert de guide imaginaire et figuratif à cette courte œuvre de quarante-cinq minutes. La danseuse accueillie nous accueille d’ailleurs avec un tour de vocalises à la fois séduisant et étrange. Ce que permet Mami Wata, c’est aussi de subvertir le désir de séduction inhérent à l’exercice du premier solo, et la vulnérabilité qui l’accompagne : à peine le public est-il pris dans les griffes de l’artiste qu’elle s’évertue à le repousser. Le mouvement qui naît à partir de là semble tout entier découler de cette tête qui prend seule la lumière. Surtout, la tension qu’exige ce visage brandi en arme génère, pour celui qui y fait face, une attention de tous les instants. Lâcher les muscles qui font tenir le masque serait automatiquement une mise en péril. Au fond, c’est de cette lutte avec sa propre nature que Tchomanga nous rend captifs.
Samuel Gleyze-Esteban
Mascarades de Betty Tchomanga
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris
Du 21 au 26 mars 2024
Durée 45 min
Conception et interprétation Betty Tchomanga
Création lumières Eduardo Abdala
Création sonore Stéphane Monteiro
Regard extérieur Emma Tricard et Dalila Khatir
Consultante travail vocal Dalila Khatir
Régie son Stéphane Monteiro
Régie lumières Eduardo Abdala
