Sidéral de Sébastien Ly © Nadège Sanz
Sidéral de Sébastien Ly © Nadège Sanz

Les Hivernales 2024, la danse contemporaine dans tous ses états

À Avignon, pour la 46e édition de son festival, le centre national de développement chorégraphique propose une balade tous azimuts, allant du cirque au hip hop en passant par des formes hybrides singulières autant que percutantes. 

Le mistral souffle dans les rues de la cité des Papes, balayant préjugés, prérequis et autres aprioris. C’est le regard plein d’enthousiasme et de curiosité que le public répond présent aux différentes propositions programmées par la directrice des Hivernales, Isabelle Martin-Bridot. Et clairement à voir les salles pleines à craquer, le succès est au rendez-vous. De la dernière création d’Alexander Vantournhout à celle de Joachim Baudet, artiste repéré en 2022 à la Belle scène Saint-Denis avec Welcome, en passant par le hit de Rafaële GiovanolaVis motrix, ou celui de la performeuse Silvia Gribaudi, Graces, il y en a pour tous les goûts, toutes les envies. 

En ces derniers jours de festivités, c’est à Saint-Rémy-en-Provence, à l’Alpilium que le chorégraphe Sébastien Ly invite à découvrir Sidéral, pièce circassienne, créée en décembre dernier à Marseille. Sur le plateau, juste quelques instruments de musique et deux immenses trapèzes servent de décor. Le geste de l’artiste est tout en épure minimaliste. Alors que la pénombre envahit la salle, un vrombissement se fait entendre. Puis des bruits rappelant les forces statiques, que l’on entend dans les films de science-fiction, enveloppent le public. Le voyage a débuté. 

C’est dans l’espace que nous nous trouvons, loin de toute apesanteur. Lumières tamisées, presque sourdes, ambiance feutrée, des ombres habitent la scène. Flottant dans les airs, Mélusine Lavinet Drouet et Kamma Rosenbeck tournent et virevoltent avec lenteur. Faisant les cent pas, en arrière-plan, Loïc Guéninet Éric Brochard jouent en live une musique qui tient plus du concept que de la bande originale. Explorant l’endroit fragile du déséquilibre, du moment de bascule où la gravité rompt le charme de la suspension, Sébastien Ly se perd en circonvolutions aines et finit par tourner en rond. 

Aux Hivernales, Maxime Cozic, chorégraphe formé au hip hop à Bordeaux par Anthony Egéa, qui a notamment dansé pour Fouad Boussouf et Mourad Merzouki, esquisse avec Oxymore, un pas de deux masculin où se confrontent des sentiments contrastés entre désir et répulsion. Prenant comme point de départ des corps sous l’emprise de l’alcool, il dessine un duo où la confusion des genres et des émotions prend le pas sur la raison. 

Avec son complice Sylvain Lepoivre, il pantomime, joue des gros bras, s’attache à mettre en exergue des comportements borderline, où, sous-jacent, à la violence, à la brutalité, l’attrait pour l’autre se fait de plus en plus présent. Déployant une écriture très physique, Maxime Cozic signe un spectacle inspiré qui navigue en eaux troubles. Si la guerre est déclarée entre ces deux âmes enivrées jusqu’à plus soif, la sensualité qui se dégage de ces corps à corps en friction renvoie à une image fantasmée teintée d’homoérotisme. Ici, ce n’est pas tant la musique qui adoucit les mœurs, mais le lien fusionnel qui unit les deux interprètes. 

Devant le Théâtre Benoit XII, une petite foule attend. Dans quelques minutes, Youness Aboulakoul va présenter sa troisième pièce, Ayta, un sextuor féminin imaginé comme un cri venant du plus profond de ces corps qui entrent en résistance contre la violence sexiste du quotidien. Interprète chez Ambra Senatore ou chez Christian Rizzo, l’artiste creuse jusqu’à l’os une écriture lancinante, répétitive qui ne demande qu’à gronder et exploser en mille morceaux sa propre trame. 

Dans un coin de la scène, dans une semi-pénombre, telle une armée au féminin, les six danseuses exécutent à pas lents, inlassablement, le même mouvement géométrique. Elles semblent conditionnées, sous emprises. Parfois, l’une sort du rang, mais très vite réintègre sa place. Toute velléité de sortir du cadre est vite avortée. Puis la musique, s’appuyant sur un même motif, qui ne demande qu’à être démultiplier à l’envi s’accélère. Leurs cœurs s’emballent. Leurs corps, comme chargés d’une nouvelle énergie, adoptent une cadence de plus en plus soutenue. La rage qui les habite, déferle au plateau et emporte tout sur son passage jusqu’à l’épuisement total de ces combattantes des temps présents. 

Clairement très aboutie, gonflée d’un dynamisme fiévreux autant que très maitrisée, la proposition de Youness Aboulakoul remporte tous les suffrages, même si on peut regretter une dramaturgie légèrement à la peine. C’est debout que le public avignonnais acclame cette Ayta hypnotique et transcendantale. La journée s’achève sur une belle promesse. De quoi attendre avec impatience la prochaine édition ! 


Festival Les Hivernales
14 février au 2 mars 2024

Sidéral de Sébastien Ly
Création décembre 2023 au Zef, Scène nationale de Marseille
23 mai 2024 à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon.
Avec Mélusine Lavinet Drouet et Kamma Rosenbeck
Collaboration artistique – Kitsou Dubois
Musique live de NOORG / Loïc Guénin et Eric Brochard
Lumières de Françoise Michel
Dramaturgie de Youness Anzane
Costumes – Franck Santa Rita
Conception agrès – Vincent Van Tilbeurgh
Régie plateau – Thierry Llorens

Oxymore de Maxime Cozic
Création avril 2023 au Klap, Maison de la danse – Marseille
28 mars 2024 à L’Etoile du Nord, Paris
25 avril 2024 au POC, Alfortville.
Avec Maxime Cozic et Sylvain Lepoivre
Création lumière de Lucas Baccini
Création musicale d’Arsène Magnard
Costumes de Lola Maux

Ayta de Youness Aboulakoul
13 et 14 mars 2024 au Pôle Sud-CDCN, Strasbourg
26 et 27 mars 2024 au Cent-Quatre, Paris dans le cadre du Festival Séquence Danse
3 avril 2024 à La Barcarolle, St-Omer dans le cadre du Festival Le Grand Bain, Le Gymnase-CDCN

7 mai 2024 à  Espaces Pluriels – Le Foirail, Pau.
Avec Nefeli Asteriou, Marie-Laure Caradec, Sophie Lèbre, Cassandre Muñoz, Anna Vanneau & Léonore Zurflüh
Assistanat artistique – Pep Garrigues
Création lumières Jean-François Desboeufs, Jéronimo Roé
Création sonore de Youness Aboulakoul
Costumes d’Audrey Gendre

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