La jeune Parque de Paul Valéry , mise en scène de Julie Delille © David Morel

La Jeune Parque, l’ensorcelant rêve éveillé de Julie Delille

À Nanterre-Les Amandiers, la metteuse en scène, toute nouvelle directrice du Théâtre du Peuple, à Bussang, donne corps avec une délicatesse extrême au long poème de Paul Valéry. Subliment énigmatique ! 

Loin du tumulte de la ville de banlieue, dans les anciens ateliers décors du Théâtre de Nanterre-Les Amandiers, la belle troupe, composée des onze comédiens et comédiennes apprenti.e.s du CDN, offre aux spectateurs venus découvrir le travail de Julie Delille, des impromptus poétiques et textuels autour de l’œuvre de Paul Valéry. Entre préambules et intermèdes, ces propositions imaginées, avec la complicité de la compagnie de la metteuse en scène, les trois Parques, sont autant d’entrées possibles dans l’univers du poète. 

Invitée à présenter deux de ses spectacles, Je suis la bête, pièce dont le texte d’Anne Sibran a obtenu en 2018 le Prix SACD, ainsi que sa dernière création, une adaptation scénique de La Jeune Parque, poème en alexandrins de Paul Valéry, l’artiste, nouvellement nommée à la tête du théâtre du Peuple, n’a pas son pareil pour convier les spectateurs à des voyages sensoriels, immobiles et envoûtants. La flânerie immersive dans l’œuvre de l’essayiste sétois, proche du mouvement symboliste, commence dès le foyer, où il est demandé au public de se délester de tout ce qui n’est pas essentiel, manteau, chaussures et téléphone. 

Ainsi, libres de toutes attaches, l’esprit et l’imaginaire peuvent se laisser totalement aller à la rêverie, accepter d’être emportés bien au-delà du compréhensible, de l’intelligible. Clairement pour entrer dans le long poème métaphorique de Paul Valéry, il faut un tel préalable. Avec une belle ingéniosité, un sens aigu du décorum et de la magie scénique – à chacun de découvrir l’étonnant et onirique artifice – , Julie Delille, avec la complicité de sa sœur Clémence Delille, immerge littéralement le spectateur au cœur vibrant des vers, des pensées qu’énoncent en une douce et étirée litanie la Jeune Parque, qui erre dans un état second entre vie et mort.

Publié en 1917, après un silence de près de vingt ans, alors que la guerre fait rage en Europe, ce long monologue, unit contre toute attente, en un tout de pure beauté, les impassables antagonistes, poésie et abstraction. Le tour de main est d’autant plus admirable que l’auteur lui-même estime que son texte, fruit d’une centaine de brouillons et composé de 512 alexandrins, « passe pur l’un des plus obscurs de la langue française. » 

Sans chercher à en décoder les secrets, les envolées lyriques abscondes, Julie Delille esquisse une rêverie ouatée où la dualité entre conscience et sensualité déborde de sa propre interprétation. Au plus près des spectateurs, elle donne à La Jeune Parque un corps évanescent à peine palpable mais terriblement présent. Pierre angulaire d’un projet plus vaste autour de l’œuvre du poète, intitulé Le Métier du temps, ce petit bijou théâtral, hors du temps et du quotidien, est à savourer tout simplement, indéniablement ! 


La Jeune Parque de Paul Valéry
Théâtre Nanterre – Les Amandiers
7 Avenue Pablo Picasso
92000 Nanterre
jusqu’au 7 avril 2024
Durée 1h15 environ

Conception et mise en scène de Julie Delille
Dramaturgie d’Alix Fournier-Pittaluga
Scénographie et costumes de Clémence Delille
Création lumière d’Elsa Revol
Création musicale de Julien Lepreux

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