Dom juan de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff © Juliette Parisot
© Juliette Parisot

Dom Juan de Makeïeff, la fin de partie d’un séducteur esseulé

Au TNP-Villeurbanne, la metteuse en scène offre sa vision noire, crépusculaire du célèbre séducteur croqué par Molière et offre à Xavier Gallais un rôle d’anti-héros sans panache qui se heurte à sa propre et vaine jouissance.

Il est fatigué Dom Juan (épatant Xavier Gallais), épuisé. Sa vie de bâtons de chaise l’a rendu mou, lascif, presque impuissant. Il a le cheveu plat, gras, la vêture peu soignée. Il erre sur le champs de bataille de ses amours éphémères comme un spectre en quête perpétuelle de chair fraîche, qui une fois tâtée aura déjà le goût de l’avarié. D’allure, il n’en a que les derniers feux de son aura vespérale. Sganarelle (impeccable Vincent Winterhalter), son valet, à ses côtés, à meilleure mine. La bête n’est pas encore morte, le monstre sait encore montrer les crocs quand on l’abreuve de reproches, quand on attaque sa conduite indigne envers les cieux et les femmes. Trop fier, il ne voit pas le gouffre qui s’ouvre sous ses pieds, l’abîme insondable dans laquelle il risque à tout moment de sombrer. 

Loin de l’image d’Épinal du bourreau des cœurs, charismatique et ténébreux, Macha Makeïeff esquisse le portrait d’un homme, qui n’est plus que l’ombre de lui-même, que la débauche, la bamboche, a rendu neurasthénique, velléitaire. Plus seul que jamais, malgré la présence des belles donzelles qu’il courtise de manière apathique, de ses serviteurs, il hante le plateau, tourne en rond, se perd dans ses propres principes. La liberté, tant chérie, est devenu sa prison dorée, son sacerdoce, le plafond de verre de ses ambitions libertines et libertaires. 

Dans un décor unique, rappelant l’intérieur d’un bel hôtel particulier du XVIIe siècle, La metteuse en scène enferme Dom Juan, l’enserre sans jamais lui laisser l’espace de respirer. Confrontant cet être du passé, qui, à l’air du #MeToo, n’a plus sa place dans le monde d’aujourd’hui et de demain, à sa propre vacuité, elle en fait un personnage fat, esseulé, sans relief. Il est déjà à terre quand la pièce commence, quand Elvire (auguste Irina Solano), sa jeune et dernière épousée, digne, forte, vient lui demander des comptes, quand ses créanciers lui apporte le solde de tout compte. Même Sganarelle n’a plus peur de lui. Moins soumis qu’à l’accoutumée, il courbe le dos, mais ne rompt jamais l’échine. Plus flamboyant que son maitre, plus sage, il impose son point de vue avec une belle prestance.

Dom juan de Molière, mise en scène de Macha Makeïeff © Juliette Parisot
© Juliette Parisot

Baignée dans une ambiance fin de siècle, le Dom Juan de Macha Makeïeff entraine le spectateur dans une chute infernale, dantesque. Pas de rédemption pour l’épouseur du genre humain, mais un enchaînement de tourments. Gommant l’aspect victimaire des proies féminines de ce prédateur sans foi ni loi, la metteuse en scène fait ainsi tomber l’anti-héros de la domination des cieux et du patriarcat, dans celle d’une nouvelle ère où les femmes ne se laissent plus faire et comptent bien affirmer leurs droits. La lecture est subtile et intelligente. Elle offre de nouvelle perspective à cette pièce si complexe à monter, si difficile à réinventer.  

Tirant le texte de Molière vers l’univers pervers et crépusculaire de Choderlos de Laclos, Macha Makeïeff redéfinit les personnages, leur donne des dimensions rarement exploitées et redore le blason de ce classique qui à l’époque de la Cancel culture a bien du mal à ne pas sombrer dans l’opprobe d’une nouvelle pensée unique et aseptisée. C’est la grande force de ce spectacle nimbé par les lumières magnifiquement ciselées de Jean Bellorini. Entouré d’une troupe détonante d’acteurs, jeunes comme aguerris – citons Joachim Fossi, drôle autant que touchant en Pierrot, en frère d’Elvire un peu gauche, Xaverine Lefebvre en Charlotte, dont le jeu décalé est tout simplement savoureux, et l’excellent Pascal Ternisien qui joue les pères et les créanciers un brin naïfs mais pas niais pour un sou – , Xavier Gallais, est remarquable en libertin que les frasques ont fourbu, que l’absence totale de limite à son appétit ont rendu moins séduisant presque insignifiant. Il endosse parfaitement le rôle après s’être glisse dans celui tout aussi noir de Tartuffe, il ya deux ans, sous le regard de la metteuse en scène. Du grand ouvrage ! 


Dom Juan de Molière
TNP-Villeurbanne
place Lazare Goujon
69627 Villeurbanne cedex
jusqu’au 22 mars 2024
durée 2h30

Tournée 
23 avril au 19 mai 2024 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe

Mise en scène, costumes et scénographie de Macha Makeïeff assistée de Lucile Lacaze, Laura Garnier et Nina Coulais
avec Xavier Gallais, Joaquim Fossi, Khadija Kouyaté, Xaverine Lefebvre, Anthony Moudir, Irina Solano, Pascal Ternisien, Vincent Winterhalter et la mezzo-soprano Jeanne-Marie Lévy
lumière de Jean Bellorini assisté d’Olivier Tisseyre
son de Sébastien Trouvé assisté de Jérémie Tison
maquillage, perruques de Cécile Kretschmar
mouvement de Guillaume Siard
toile peinte (clavecin) de Félix Deschamps Mak
régie générale – André Neri
régie plateau – Marine Helmlinger
machiniste accessoiriste Jeanne Doireau
stagiaire technique – Joamin Vasseur
stagiaire – Louise Chatelain

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