Quel est le lien entre Zeus, Prométhée, Gérald Darmanin et les gilets jaunes ? A priori, aucun. Pourtant par la magie du théâtre et les plumes d’autrices du réel, Aurélia Ivan, artiste en résidence de création et d’action artistique au Théâtre de la Cité internationale (TCI), imagine un spectacle performatif où tout ce beau monde se retrouve et se confronte autour de la notion de science politique.
Paroles et paroles et paroles
Dans la salle de la Galerie, qui se trouve dans les sous-sols du bâtiment, le public s’installe face à un miroir de belle taille. L’image de cette foule silencieuse est le point de départ d’un récit qui puise dans l’Antiquité sa source pour mieux éclairer les temps présents. En décortiquant un numéro spécial de l’émission de France 5, C dans l’air, intitulée Dans le piège de la dette, Sandra Lucbert s’intéresse à la manière dont les discours langagiers des représentants du gouvernement et de l’administration tournent les mots, renversent les idées pour justifier la nécessité des coupes budgétaires et en finir avec la dette publique quitte à provoquer des drames.
Déconstruisant habilement les ressorts de ces boniments censés être la vérité, que l’on peut assimiler à des Contes d’État, l’autrice dévoile l’envers de la médaille d’un capitalisme qui sacrifie le social, l’humain au profit. Toutefois, le passage au plateau d’une telle analyse, reproduisant des pans entiers de prises de paroles en mode opératique burlesque, est des plus complexes et achoppe à totalement saisir l’attention des spectateurs. C’est d’autant plus ardu, que sans transition, Aurélia Ivan juxtapose à cette première partie les histoires tragiques de gilets jaunes blessés grièvement lors des manifestations de 2018 et 2019, qui servent de terreau au roman Sophie Divry, Cinq mains coupées.
Art tout en radicalité sophistiquée
Le défi que s’est imposé Aurélia Ivan finit par lui échapper. Les thématiques abordées, les points de vue mis en exergue, qui irriguent cet objet non identifié sont passionnants, mais la mise en scène, certainement trop cérébrale et à l’épure quelque peu alambiquée, en brouille l’intensité. La performance par trop disparate se perd dans sa propre diatribe qui à force de se répondre, se répète. Seul le comédien Volodia Piotrovitch d’Orlik tire véritablement son épingle du jeu. Sa partition tout en sobriété et radicalité, emporte la mise et réveille nos consciences hypnotisées par de trop belles et fausses paroles.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Contes d’État d’Aurélia Ivan avec des extraits du Ministère des Contes publics de Sandra Lucbert (Verdier, 2021) et de Cinq mains coupées de Sophie Divry (Le Seuil, 2020) avec la complicité de Raphaël Kempf
Théâtre de la Cité internationale
17, boulevard Jourdan
75014 Paris
Jusqu’au 23 mars 2024
Durée 1h40 environ
Tournée
4 au 9 novembre 2024 au Théâtre de l’Échangeur, Bagnolet
Mise en scène d’Aurélia Ivan
avec Léonie Chouteau, Raphaël Kempf, Flor Paichard et Volodia Piotrovitch d’Orlik
conception espace, lumière et costumes de Sallahdyn Khatir
conception sonore Nicolas Barillot, Gregory Joubert et Flor Paichard
régie générale Raphaël de Rosa
stagiaires scénographie Rose Bouraly et Clémence Malinsky
regard extérieur Bastien Dausse et Dalila Khatir