Depuis sa création en France en 1895 par Lugné-Poe, et à part la mise en scène d’Alain Françon, en 2003 à la Colline, Le petit Eyolf d’Henrik Ibsen a été assez absent du répertoire. Ce qui est assez étrange vu les qualités de l’œuvre que Sylvain Maurice fait résonner au TQI. Certainement à cause de son sujet délicat, la mort d’un enfant pris dans, ce que l’écrivain italien Claudio Magris définissait comme, « une lutte obscure et trouble entre amour conjugal et amour maternel et paternel… »
Réparer les vivants
Eyolf a mal démarré sa vie. Alors qu’il n’était qu’un bébé, une chute de sa table à langer l’a rendu handicapé. Depuis, il ne peut se déplacer sans béquilles et se retrouve à vivre une enfance solitaire peu ordinaire. Fantasque, il adore lire et qu’on lui raconte des histoires. Alors quand surgit, celle que l’on nomme, La dame aux rats (énigmatique Nadine Berland), il n’a qu’une envie la suivre et comme dans le conte de Hamelin, il va se noyer. À partir de ce drame, qu’il installe au premier acte de sa pièce, Ibsen amène, dans les deux suivants, les parents à faire leur autoanalyse. Répondant ainsi à la question que La dame aux rats leur avait posée avant de partir : Y aurait-il ici dans la maison quelque chose qui ronge ?
Pour la mère, Rita, l’enfant était un obstacle à l’amour exclusif qu’elle portait à son mari. Quant au père, Alfred, après avoir passé son temps à ses recherches philosophiques sur la responsabilité humaine, il a souhaité se concentrer à l’éducation de son enfant. Comme souvent chez Ibsen, La maison de poupée, La dame de la mer, Hedda Gabler, la femme en prise avec ses désirs semble la coupable toute désignée. Mais en définitive, ici, c’est elle qui va trouver la force d’avancer, de reconstruire le foyer. Après avoir vécu enfermés dans leur « bonheur », totalement étranger au monde et aux êtres, ils vont se tourner vers d’autres enfants, les miséreux du village.
Au cœur de la pensée de Ibsen
Il est difficile de ressentir de l’empathie pour Rita et Alfred, deux êtres centrés autour de leur nombril. Pourtant, dans leurs désarrois et ce désir de retrouver un sens à leur vie, ils finissent par nous toucher. Sophie Rodrigues et David Clavel incarnent, avec la distance nécessaire ces deux personnalités, qui tels des contraires, s’attirent et se repoussent. Constance Larrieu est parfaite dans le rôle de la jeune sœur qui fuit pour ne pas sombrer. Comme souvent chez Ibsen, il y a une touche d’optimisme. Ici, elle est représentée par le jeune Brogheim, interprété par le charmant Maël Besnard. Pour interprété le rôle très bref d’Eyolf, le metteur en scène n’a pas choisi un enfant, mais la délicieuse Murielle Martinelli. Elle y est formidable.
Pour sa deuxième insertion en terre ibsienne, après Peer Gynt, la plus belle œuvre du norvégien, Sylvain Maurice a délibérant mis l’accent sur ce qui a nourri les autres pièces du dramaturge, à savoir le drame bourgeois teinté d’une étude psychologique. Sa remarquable scénographie, épurée autour d’un fronton de mer, jouant sur les lumières, lui permet de sortir la pièce de son carcan du XIXe siècle et de son naturalisme. L’intemporalité de ses sujets, comme les relations, très freudiennes, entre Alfred et sa demi-sœur Asta, nous parvient alors aisément. Du bel ouvrage.
Marie-Céline Nivière
Le petit Eyolf de Henrik Ibsen
T.Q.I. – Centre dramatique national du Val-de-Marne
Manufacture des Œillets – 1 rue Raspail
94200 Ivry.
Du 8 au 16 mars 2024.
Durée 1h35.
Tournée
21 mars 2024 à L’Archipel, Scène de territoire de Fouesnant (29).
9 au 11 avril au Quai – CDN d’Angers (49).
Mise en scène, version scénique et scénographie de Sylvain Maurice.
Nadine Berland, Maël Besnard, David Clavel, Constance Larrieu, Murielle Martinelli, Sophie Rodrigues.
Lumières de Rodolphe Martin.
Son de Jean de Almeida.
Collaboration à la scénographie Margot Clavières.
Direction technique André Néri.
Régie générale Marion Pauvarel.