© Simon Gosselin

Avec Le Mandat, Patrick Pineau oscille entre farce et satire

Aux Célestins - Théâtre de Lyon, le metteur en scène retrouve la plume d’Erdman dont il avait monté Le Suicidé en 2011.

Mettre en scène la pièce d’un auteur russe en 2024 n’a rien d’anodin, d’autant plus quand c’est une farce qui tend à rire d’un système politique et d’une société en pleine mutation. Dans Le Mandat de Nicolaï Erdman, écrit il y a tout juste cent ans, la Russie du début du XXe siècle est en train de changer de visage au moment où Staline s’installe au pouvoir. Mais au-delà des strates les plus hautes de la gouvernance soviétique, bien décidée à plier sous sa volonté un pays et son peuple, des familles sont contraintes de s’adapter pour leur propre réussite, pour leur propre survie.

Outre la lecture évidemment politique – et ô combien actuelle dans le fond – de ce texte, Patrick Pineau creuse dans sa création les deux grands axes tracés par Erdman. Dans cette traduction particulièrement dynamique signée André Markowicz, il donne à sa pièce des airs de légèreté derrière lesquels se développent discrètement des thématiques plus profondes. Dans ce sens, la scénographie de Sylvie Orcier joue elle aussi sur les deux tableaux. Nous amenant d’abord dans un décor de vaudeville comme toile de fond pour quiproquos et personnages aux traits marqués, elle nous glisse finalement dans un univers plus sombre et plus métaphorique. Ainsi se dévoile, peu à peu, ce que les apparences masquaient jusqu’alors : une lutte insidieuse pour trouver sa place dans une société changeante.

© Simon Gosselin

Entre manipulations opportunistes et résignations, les personnages se retrouvent pris dans une spirale à laquelle ils comprennent peu de chose, si ce n’est l’absolue nécessité d’y prendre part… Mais à quel prix ? Prêts à falsifier des documents d’état pour assurer leur sécurité – le fameux Mandat du parti –, ils alimentent aussi leur propre réalité sans se douter qu’elle est illusoire. Ainsi s’enferment-ils dans un schéma fait de faux-semblants, où chacun cherche à tirer son épingle d’un jeu dont les règles paraissent bien opaques.

En confiant sa création à une distribution de troupe qui brille par son équilibre autant que par son énergie et sa justesse, Patrick Pineau joue délicatement sur les deux tableaux que sont la farce comique et la satire politique. Le metteur en scène propose de cette manière une pièce au rythme effréné, embarquant sans mal la salle et le plateau dans un grand ballet chaotique, comme une course ininterrompue contre le temps. Poussés dans leurs retranchements en quête de la moins pire des solutions, les personnages se confrontent peu à peu à leur impuissance face à un système plus grand qu’eux. 

Dans ce Mandat version 2024, difficile d’occulter complètement le contexte de notre époque, ouvrant derrière les rires une lecture parfois amère. Car si les noms et les classes sociales ont évolué, les situations sont aisément transposables dans un pays gouverné par une élite qui ne cesse d’avoir le regard tourné vers le passé… À croire que depuis cent ans, il est toujours question de trouver un sens à son propre rôle dans une société qui nous dépasse. 


Le Mandat de Nicolaï Erdman
Création au Célestins, Théâtre de Lyon, du 6 au 16 mars 2024
Théâtre de la Tempête
La cartoucherie ) route du champs de manoeuvre
75012 Paris.
Du 18 avril au 5 mai 2024.
Durée 2h15

Tournée
26 au 29 mars au Théâtre-Sénart, Scène nationale
Les 2 et 3 avril à L’Azimut – Antony / Châtenay-Malabry
Les 9 et 10 avril à La Comète – Châlons-en-Champagne

De Nicolaï Erdman
Mise en scène Patrick Pineau / Compagnie Pipo
Avec François Caron, Ahmed Hammadi-Chassin, Marc Jeancourt, Aline Le Berre, Nadine Moret, Sylvie Orcier, Elliot Pineau-Orcier, Yasmine Modestine, Lauren Pineau-Orcier, Jean-Philippe Levêque, Virgile Leclaire, Arthur Orcier, Patrick Pineau
Traduction André Markowicz
Dramaturgie Magali Rigaill
Lumière Christian Pinaud
Musique et création son Jean-Philippe François
Scénographie Sylvie Orcier
Tableaux Renaud Léon
Régie générale Florent Fouquet
Costumes et accessoires Gwendoline Bouget, Sylvie Orcier, Giuseppe Pellegrino

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