Avec Passeport, la grande et belle histoire d’amour entre le public et Alexis Michalik n’est pas prête de s’étioler. Il a réussi à allier la forme, chez lui toujours dynamique, et le fond, qui s’attache à l’humain. Au dire de certains, ses œuvres sont « grand public », voire populaires. Et alors ! Cet artiste doué, enfant légitime de Brook, Mnouchkine et Mouawad, a réconcilié beaucoup de gens avec le théâtre. La preuve, la plupart de ses spectacles continuent des années après leur création à afficher complet.
Permis de séjour
À y regarder de plus près, ses pièces portent soit sur des sujets de société (Intra-Muros, Une histoire d’Amour), soit sur des questionnements autour de la création artistique (Le porteur d’histoire, Le cercle des illusionnistes, Edmond). Toutes ont en commun : le sens de la vie, la mémoire et la construction d’un être. Dans Passeport, il nous entraîne dans un récit, constitué comme toujours de plusieurs couches, où il est question de migration, d’intégration et d’identité. Qui sommes-nous ? De quoi sommes-nous constitués ? Comment notre regard sur les gens change selon leur position sociale ?
Après une agression dans le camp de Calais, un homme se réveille amnésique. Près de lui un passeport, il s’appellerait Issa (Jean-Louis Garçon, exceptionnel) et serait venu d’Érythrée. Il se rend vite compte qu’il est à son aise pour parler le français comme l’anglais et qu’il ne manque pas d’instruction. Tout lui réussit. Qui est-il ? Comment et pourquoi est-il arrivé à Sangatte ? Sa mémoire lui faisant défaut, il va mener son enquête avec au bout l’espoir de trouver des réponses et un permis de séjour.
Des tiroirs à ouvrir
À partir de cette base, Michalik tricote, comme à son habitude, une histoire nourrie d’autres. Il y a celle de Lucas, le gendarme (épatant Christopher Bayemi). Il vient de Mayotte et a été adopté par Michel, militaire de carrière, et sa femme (brillants Patrick Blandin et Ysmahane Yaqini). On suit également celle de l’Indien tamoul, Arun (Kevin Razy, étonnant), et du Syrien, Ali (Fayçal Safi, surprenant). Pas de Michalik, sans une histoire d’amour. Elle est menée par Jeanne (Manda Touré, parfaite). Originaire du Mali, mais née à Toulouse, cette jeune journaliste va nous transporter dans son monde où les origines n’ont rien à faire.
Ces protagonistes tissent les trames de cette (ces) histoire(s) de reconstruction. Car c’est par la rencontre avec les autres que l’on apprend qui on est. On n’ira pas plus loin, car, il est finaud, le Michalik. Comme pour un polar, on ne peut spoiler la fin de sa pièce. Et c’est pourtant dans ce final, qui est loin d’être fleur bleue, que réside la puissance de son propos. La seule chose que l’on va s’autoriser à dire est que ce coup de théâtre est brillant.
Une épopée pleine de vie
La mise en scène est réglée, comme d’habitude, au cordeau. Les tableaux s’enchaînent dans un tourbillon. Le plateau demeure un espace vide. Cette fois-ci, parce que l’époque le permet et que la technique à évoluer, les projections vidéo (signée Nathalie Cabrol) deviennent décor. Mais il demeure cette magie du théâtre, qui s’appuie sur le remarquable travail de Juliette Azzopardi, les lumières de François Leneveu, les costumes de Marion Rebmann, la musique de Sly Johnson, de faire naître des images avec trois fois rien.
Quant à la troupe, parce qu’il en est ainsi chez Michalik, elle est au diapason. Les comédiennes et comédiens ont tous un beau parcours. C’est une histoire de famille. Les uns ont déjà joué dans d’autres pièces de l’auteur, les autres ont croisé sa route à ses débuts chez Irina Brook ou sur un plateau de cinéma. Avec un grand talent et une belle sincérité, ils font vibrer cette histoire qui nous prend à la gorge et nous donne envie de regarder le monde autrement.
Marie-Céline Nivière
Passeport, texte et mise en scène d’Alexis Michalik
Théâtre de la Renaissance
20 boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Jusqu’au 5 janvier 2025
Durée 1h30.
Avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini.
Assistante mise en scène Clotilde Daniault
Musiques de Sly Johnson
Décor de Juliette Azzopardi, assistée d’Arnaud de Segonzac
Accessoires Pauline Gallot.
Costumes de Marion Rebmann, assistée de Violaine de Maupeou
Vidéo de Nathalie Cabrol
Assistant vidéo Jérémy Secco
Lumières de François Leneveu
Sons de Julius Tessarech
Texte paru aux Éditions Albin Michel.