Comment est né ce projet autour de Nicolas de Staël ?
Tatiana Vialle : Au départ, j’avais fait un montage de lettres du peintre à la demande de Mathieu Touzé dans le cadre du festival du Théâtre 14, en septembre. Nous nous étions rencontrés au moment des représentations d’Excécuteur 14 d’Adel Hakim, que j’avais mis en scène. Au fil des discussions que nous avons eues, notamment sur le travail d’acteur, j’ai constaté qu’il y avait chez lui, dans sa silhouette, dans son visage, dans son regard sur son métier, quelque chose qui me faisait penser à Nicolas de Staël. Leurs doutes, leurs obsessions, leurs questionnements, la manière dont ils appréhendent l’art, qu’il soit plastique ou dramatique, est assez similaire. Je trouvais donc fascinant d’essayer de faire un parallèle entre eux, de creuser cette ligne et de voir où cela me mènerait.
Qu’est- ce qui vous fascine chez Nicolas de Staël ?
Tatiana Vialle : Justement, cette ambivalence, cette envie de toujours tout maîtriser, tout en cherchant à ce que le geste artistique soit le plus impulsif possible. C’est presque schizophrénique. Nicolas de Staël a toujours été partagé entre ces deux extrémités. Quand on parcourt sa correspondance, ce questionnement pour tenter de relier ces deux idées paradoxales est permanent, presque obsessionnel. Même quand il a commencé à être connu et à vendre ses toiles, il n’a jamais cessé de douter. Faut-il tout maîtriser ou laisser aller ? Est-ce que ce qui jaillit sans avoir été pensé en amont n’est pas plus intéressant que quand on maîtrise ?
Comment porte-on au plateau un geste pictural ?
Tatiana Vialle : quand j’ai commencé à imaginer le spectacle, j’avais dans l’idée qu’il fallait un ou une artiste au plateau, quelqu’un qui donne chair à des œuvres plastiques en temps réel. J’ai fait appel à Juliette Baigné, qui chaque soir performe et imagine une nouvelle scénographie. Il était important de pouvoir confronter au plateau tout l’aspect très théorique des lettres, avec quelque chose de concret. Et puis ce qui est intéressant chez de Staël, c’est qu’à travers ses correspondances, on s’approche un peu de son intimité, même si les questionnements sur son travail reviennent toujours l’obnubiler. Il fallait à mon sens que tout cela se ressente à travers un geste plastique.
Comment avez-vous fait le choix des lettres qui composent le spectacle ?
Tatiana Vialle : Il s’est fait à travers un des personnages que j’ai inventé de toutes pièces, une jeune élève d’école d’art, incarné par Telma Bello, qui, en questionnant ce professeur joué par Mathieu Touzé, cherche à percer le mystère du processus créatif. Ce travail va les amener à plonger dans la correspondance de Nicolas de Staël. Ne trouvant pas son propre chemin, la jeune fille va tenter d’emprunter celui du peintre. Ensemble, il vont parcourir les mots, les pensées de Nicolas de Staël, s’intéresser à ce qui l’animait, et découvrir dans l’intimité de l’homme ce qui a nourri l’artiste. J’ai donc tout simplement suivi la quête de ce personnage et les lettres ont suivi. Et puis après avoir relu plusieurs fois le recueil qui contient toute sa correspondance, je me suis rendu compte que certains de ses écrits étaient plus persistants que d’autres dans ma mémoire. Je n’arrivais pas à les oublier. Je les ai donc inclus dans la pièce.
Mathieu Touzé n’est donc pas à proprement parlé Nicolas de Staël, mais une sorte de double….
Tatiana Vialle : tout à fait. C’est plus une évocation de l’artiste qu’une biopic. Mathieu joue un professeur d’art plastique qu’une étudiante va transformer. Elle va, au fil de son cheminement artistique, l’amener à l’incarner physiquement. On revient au travail d’acteur, et comment un être peut se glisser dans la peau d’un autre.
Une retrospective a eu lieu au musée d’art moderne de la ville de Paris…
Tatiana Vialle : il y a en effet une sorte de résonnance dans l’actualité. Mais nous n’abordons pas l’artiste de la même manière. Ceux qui ont vu l’expo ont une vision très colorée de l’artiste. J’ai plutôt travaillé en noir et blanc. Rien n’évoque dans le spectacle les tableaux de Nicolas de Staël, on ne parle que de son travail, de son geste artistique. On plonge dans ses pensées, de ses premières toiles jusqu’à son suicide.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Être Peintre d’après la correspondance de Nicolas de Staël
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
du 30 janvier au 11 février 2024
Mise en scène de Tatiana Vialle assistée de Léa Mazzoni
avec Mathieu Touzé et Selma Bello
Scénographie performée de Juliette Baigné
Lumière de Stéphane Fritsch et Christian Pinaud
Musique de Dominique Mahut et Sébastien Moreaux