Au Théâtre des 13 vents, le temps ne s’écoule pas comme ailleurs. Ici les représentations ne se succèdent pas comme des produits dans un rayon de supermarché. Ici le public n’est pas noyé sous une avalanche de spectacles qui confierait la programmation au hasard des disponibilités des uns, des autres. Dirigé depuis 2018 par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, le CDN de Montpellier suit désormais son propre rythme, en dédiant des temps longs aux artistes, invités à passer tout un mois sur place. Ce format, qui tenait plutôt du pari au vu des circonstances sociales et financières dans lesquelles il s’est développé, s’est pourtant imposé au fil des saisons.
D’année en année, les artistes comme le public ont ainsi pris le pli de ces temps longs dédiés à une démarche, une thématique, un univers. À chaque nouvelle saison, la question n’est plus de savoir “Que va-t-on voir ?”, mais “Qui va-t-on rencontrer ?”. En provoquant ces rendez-vous, le Théâtre des 13 vents invite artistes et spectateurs à tisser des liens solides qui donnent un sens oublié à la notion de théâtre public, au-delà et autour du temps toujours fort de la représentation.
Un mois avec Pierre Meunier et Marguerite Bordat
Sur ce modèle, c’est un binôme à nul autre pareil qui est venu partager ce mois de février avec les montpelliérains. À travers une recherche artistique qui tient autant du travail expérimental que de la contemplation, Pierre Meunier et Marguerite Bordat se démarquent par une approche inédite de la scène, où se rejoignent performance et poésie. Dépassant les limites du plateau, le temps long ardemment défendu par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano fait plus que jamais sens.
Présentant tour à tour La Bobine de Ruhmkorff (reprise de 2012) puis Bachelard Quartet (créé en 2021 à la MC2 Grenoble), Pierre Meunier et Marguerite Bordat ont ainsi pu proposer deux formes distinctes de leur travail commun. Bien que conçues à des périodes différentes et arpentant leurs propres thématiques – le désir et le sexe pour l’un, les quatre éléments d’après Gaston Bachelard pour le second –, ces deux pièces vues dans un même temps esquissent ensemble un portrait qui, sans se vouloir exhaustif, ouvre une porte vers l’imaginaire du duo d’artistes. Entre installations performatives et théâtre d’objets, ils modèlent les mots et les sons comme ils sculptent les matériaux. Ils construisent ainsi des escapades poétiques qui s’affranchissent du récit à proprement parler.
Mais loin de s’en tenir à cette finalité de la représentation publique, le travail de recherche qui caractérise l’identité artistique de Pierre Meunier et Marguerite Bordat est plus vaste. Il trouve également écho dans la réalisation de films, l’activation de performances ou la transmission et le partage de leur pratique, par exemple. Ces différentes strates artistiques, qui entrent en résonance avec le plateau, ont précisément leur place dans ce mois qui leur est dédié au CDN de Montpellier, au gré des différents rendez-vous qui ponctuent le temps de leur séjour.
Qui vivra verra
En effet, en miroir de la programmation des spectacles, c’est tout un microcosme qui se met en branle. La réflexion artistique portée par les représentations est ainsi augmentée et poursuivie au gré d’ateliers, de rencontres, de débats… Point d’orgue de ces événements, le Théâtre des 13 vents organise une fois par mois un rendez-vous baptisé Qui vive !. Conçues chaque mois sur mesure et main dans la main avec les équipes artistiques accueillies, ces parenthèses d’un samedi sont aussi l’occasion de se plonger différemment dans les univers des uns et des autres. De séminaire en projections, de rencontres en diffusion de créations, ces moments à part marquent aussi le tempo de la programmation.
Ainsi la saison se poursuit-elle au CDN de Montpellier, attirant un public aussi fidèle que curieux en dépit d’un lieu réputé pour sa difficulté d’accès. Depuis octobre dernier, les 13 vents ont notamment été le foyer temporaire de Jonathan Capdevielle ou Nicolas Bouchaud. C’est aussi là qu’est née la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, qui a connu sa deuxième édition en novembre 2023 en présence de Bashar Murkus, Emma Dante ou Chrystèle Khodr.
Les mois à venir, quant à eux, sont déjà de bon augure. Rébecca Chaillon, Céline Champinot, Marion Aubert et Marion Guerrero se partageront le mois de mars. En avril, c’est le tout nouveau directeur du Studio-Théâtre de Vitry, Adrien Béal, qui prendra place. Puis Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume présenteront Madame L’Aventure du 31 mai au 9 juin, dans le cadre du Printemps des Comédiens.
Peter Avondo
Bachelard Quartet de Pierre Meunier et Marguerite Bordat
Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier
Du 7 au 9 février 2024
Durée 1h50
Du 8 au 10 mars 2024 au Théâtre Garonne à Toulouse
Les 14 et 15 mars 2024 au Bois de l’Aune à Aix-en-Provence
Conception et mise en scène de Marguerite Bordat, Pierre Meunier
Rêverie sur les éléments à partir de l’œuvre de Gaston Bachelard
Avec Jeanne Bleuse, Matthew Sharp, Pierre Meunier
En compagnie de feu Frédéric Kunze
Direction musicale : Jeanne Bleuse, Noémi Boutin
Création lumière : Hervé Frichet
Création sonore : Géraldine Foucault
Conseil à l’improvisation et au piano préparé : Eve Risser
Scéno/sonographie : Géraldine Foucault et Marguerite Bordat
Collaboration aux costumes : Camille Lamy
Construction : Florian Méneret, Jean-François Perlicius
Régie lumière et générale Florian Méneret
Régie son Géraldine Foucault ou Louis Sureau