Le fameux trio femme-mari-amant est le moteur privilégié des vaudevilles et du théâtre de boulevard. On croit toujours en avoir fait le tour, mais non ! Les auteurs continuent à s’épancher sur ce sujet immuable et s’amuser avec. Alain Ayckbourn en est un spécialiste. Possédant un sacré sens de la comédie à l’anglaise, l’auteur, tel un joueur d’échecs, prend plaisir à placer ses pions dans des situations pittoresques. Et on ne va pas s’en plaindre.
La pièce n’en est pas à sa première adaptation française. Nous l’avions découverte en 2013 sous le titre Les uns chez les autres au Théâtre de l’Ouest Parisien, avec un débutant prometteur, Laurent Lafitte, dans une mise en scène de Gildas Bourdet. Ladislas Chollat a été l’assistant de cette grande figure du théâtre français. Remonter cette pièce des années après est une très bonne idée. D’autant plus que Chollat est tout à son aise avec l’univers du dramaturge anglais. En 2022, il a mis en scène avec savoir-faire Une situation délicate, qui fut un grand succès. Cet Amour chez les autres, subtilement adapté par Marie-Julie Baup, est parti pour connaître le même sort.
Une impeccable machinerie théâtrale
Les Foster et les Philips habitent la même rue. Franck Foster est le patron de Bob Philips. Sa femme, Fiona, a une liaison avec Bob. Terry, l’épouse de Bob, a les même soupçons que Franck. Pour expliquer la raison de leur découchage de la veille, les deux amants ont alors la même idée, mais pas la même méthode. Leurs alibis ? Les prétendus déboires conjugaux des Chesnutt, nouveaux venus dans la boîte de Franck et dans le quartier. Du coup, les cocus invitent tour à tour Mary et William Chesnutt à dîner… Les arroseurs se faisant toujours arroser, la fin est assez délectable.
Toute l’action se déroule simultanément dans les deux habitations réunies sur la scène. Dans une fluidité fort efficace, on passe du salon bien rangé des Foster aux fouillis des Philips, puis on suit les deux dîners en simultané. Le décor d’Emmanuelle Roy est sacrément bien conçu. Ladislas Chollat organise de main de maître ce ballet incessant entre les foyers entre les couples. L’auteur et le metteur en scène, en fins orchestrateurs, font que le rythme de cette valse à trois temps — mensonge, quiproquo et rebondissements — tourbillonne sans jamais s’essouffler.
Pour que la danse des salons fonctionne, il faut des valseurs endiablés, et là, nous sommes gâtés. Pour les Foster nous avons la « grande » Virginie Hocq qui joue la bourgeoise foldingue façon Claude Gensac, et le « petit » Jonathan Lambert, qui trépigne comme de Funès. On est dans le ton de Au Théâtre ce soir ! Chez les Philips, le ton est plus grinçant : rien ne va plus entre la déprimée Terry et son époux déchaîné. Julie Delarme et Arié Elmaleh (ce grand clown) sont à leur aise dans cet univers burlesque dans lequel leurs personnages ont été traités. Impayables en dindons de la farce dépassés, Sophie Bouilloux et Andy Cocq nous régalent. Pour vous divertir, n’hésitez pas à emprunter le chemin de cet agréable boulevard du rire !
Marie-Céline Nivière
L’Amour chez les autres d’Alan Ayckbourn
Théâtre Edouard VII
10 place Edouard VII
75009 Paris.
Jusqu’au 19 mai 2024.
Durée 1h45.
Adaptation française de Marie-Julie Baup
Mise en scène de Ladislas Chollat,
assisté d’Éric Supply.
Avec R-Jonathan Lambert, Virginie Hocq, Arié Elmaleh, Julie Delarme, Sophie Bouilloux et Andy Cocq.
Décors d’Emmanuelle Roy.
Lumières d’Alban Sauvé
Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz.
Musique de Frédéric Norel.