À quoi ressemblait votre première fois de théâtre ?
Frédéric Maragnani : L’un des premiers grands moments dans mon rapport au théâtre a été la découverte du film Molière d’Ariane Mnouchkine. Je m’en souviens très bien : je devais avoir dix ans, ma mère s’occupait du ciné-club, c’est elle qui chargeait les bobines. J’avais regardé ce très long film et je m’étais dit : « J’ai envie de faire ça ! » J’avais envie de côtoyer ce que l’équipe de l’Illustre théâtre côtoyait. Le rapport à la scène, mais aussi le rapport au pouvoir qui l’accompagne. Ensuite, j’ai créé ma première mise en scène à vingt-quatre ans. C’était un texte de Goldoni, Barouf à Chioggia, que j’avais monté dans les villages de Nouvelle-Aquitaine, notamment dans le Lot-et-Garonne, avec beaucoup de gens dont c’était aussi la première fois et qui sont devenus professionnels ensuite, en tant que metteurs en scène ou en tant que directeurs de structures.
Contrairement à ce que le titre peut laisser penser, ce n’est pas seulement un festival dédié aux premières créations…
Frédéric Maragnani : J’ai pas mal travaillé sur la jeune création, et j’y travaille toujours. Je n’avais pas de cadre quand j’ai commencé à faire du théâtre. En tant que directeur, que ce soit à la Manufacture à Bordeaux ou au Théâtre de Chelles, j’ai toujours aimé travailler à donner des points d’appui ou des relais à celles et ceux qui débutent. Premières fois englobe bien sûr la jeune création — par exemple Gloria Gloria, le premier texte Marco Caramès Blanco — mais va plus loin. Aujourd’hui, plusieurs générations d’artistes coexistent. Des gens extrêmement jeunes et des gens qui ont le triple de leur âge. Tout le monde n’a pas forcément envie de faire la même chose pendant toute leur vie professionnelle. C’est vrai partout, et aussi chez les artistes. La formation qu’on a pu recevoir — comédien ou marionnettiste, par exemple — ne détermine pas forcément ce que l’on va faire pendant toute sa vie d’artiste. J’ai souvent été à l’écoute de metteurs en scène qui me partageaient leur envie de jouer, ou d’actrices qui me disaient vouloir créer leur premier seul-en-scène, et cela, quel que soit leur âge. Il y avait donc quelque chose à travailler du côté du premier geste artistique. Mettre en avant l’inédit. Ça rejoint aussi les questions de monde amateur et de monde professionnel. Par exemple, demain, on reçoit Amours (2) de Joël Pommerat. La pièce est née de textes écrits avec les détenus de la maison d’arrêt d’Arles, et certains d’entre eux, ayant purgé leur peine, sont devenus acteurs dans le spectacle. Idem pour le Portrait dansé présenté en première partie d’Il n’y a pas de Ajar. Paul Molina est un freestyleur de ballon, sa vocation première n’est pas de monter sur scène. Si on le lui avait dit il y a cinq ans qu’il aurait un spectacle chorégraphique à son nom, je ne suis pas sûr qu’il y aurait cru. Les premières fois ont une qualité particulière. L’idée du festival est donc d’ouvrir des espaces pour ces gestes inédits, d’autoriser la mise en risque des artistes et de proposer des aventures singulières au public.
Le festival a déjà commencé le 1er février, et court jusqu’au 11. Comment l’avez-vous abordé, et dans quel état d’esprit vous trouvez-vous aujourd’hui ?
Frédéric Maragnani : J’étais inquiet que cette question des premières fois ne soit entendue que vis-à-vis du soutien à l’émergence. Or, il y a déjà beaucoup d’événements et de dispositifs dédiés à celle-ci. Finalement, j’ai l’impression que axe consacré aux singularités des premiers gestes artistiques a vraiment été entendu par les spectateurs. Il y a une vraie curiosité de leur part. Il faut dire que j’ai la chance, à la Halle aux grains, d’avoir des publics assez extraordinaires. Ils sont curieux et gourmands de création.
Cela ne fait pas deux ans que vous êtes à la tête de la Halle aux grains. Comment se porte la structure ?
Frédéric Maragnani : Elle se porte bien. Elle est traversée par ce projet, qui est fortement partenarial, à l’image de l’ADN que j’ai voulu donner au lieu. Effectivement, ce projet se construit avec beaucoup de partenaires, également avec un travail renforcé sur les spectacles enfance et jeunesse, et il est cadencé par plusieurs temps forts sur l’ensemble de la saison. Après un an et demi de travail, on est dans un rythme agréable. Mais il faut du temps pour que le projet prenne forme.
C’est donc la première de Premières fois. Que peut-on attendre des prochaines ?
Frédéric Maragnani : Je vois qu’il y a un grand espace pour inventer des représentations singulières, performatives, qui laissent la place aussi à d’autres participants, par exemple les publics. Premières fois ouvre un champ large. Il joint professionnels et amateurs, dans le sens noble du terme. Il y a encore quelque chose à jouer sur le plan de l’engagement des publics dans la création, beaucoup plus fortement que dans cette première édition. J’y travaille.
Quand on cherche à programmer des premières fois, des formes inédites, le terrain est-il fertile ?
Frédéric Maragnani : Il y a une vraie richesse de proposition, réelle et transdisciplinaire. C’est très stimulant ! Travailler sur les premières fois, c’est aussi se positionner un peu différemment en tant que programmateur. C’est passer du temps avec les gens. Parce qu’il faut beaucoup de travail pour bien préparer une première fois, ça se prépare. Notamment lorsqu’on travaille avec des équipes qui n’ont pas l’habitude des cadres professionnels. Il faut écouter les gens, leurs désirs, ce qu’ils ont envie de faire… Y compris avec des professionnels qui se lancent dans un nouveau type de projet. Je trouve ce travail très intéressant.
Propos recueillis par Samuel Gleyze-Esteban
Festival Premières fois
Du 1 au 11 février 2024
La Halle aux grains
2 place Jean Jaurès
41000 Blois