Portrait de l'artiste après sa mort, Davide Carnevali © Victor Tonelli
© Victor Tonelli

Festival FARaway : exils à Reims

Entre théâtre, installation sonore et art contemporain, le festival rémois FARaway raconte autant de migrations que de voyages transdisciplinaires.

Cela fait deux fois que l’on se rend à la comédie de Reims et que l’on s’y perd entre le réel et la fiction. En décembre était créé Rapt, une mise en scène de la directrice Chloé Dabert, thriller conspi qui brouillait savamment la frontière du vrai du faux. Cette fois, c’est Marcial di Fonzo Bo, sous la direction de Davide Carnevali, qui nous mène sur ce terrain d’incertitude en même temps qu’il nous fait traverser l’Atlantique en direction de Buenos Aires, sa ville d’origine.

Portrait de l’artiste après sa mort naît d’une envie d’évoquer les disparus des dictatures du vingtième siècle. Le metteur en scène en crée une première version il y a un an, au Teatro Piccolo de Milan, où il est artiste associé. Depuis, la pièce s’adapte à l’histoire des pays ou à celle des comédiens, comme c’est le cas avec le nouveau directeur du Quai d’Angers : à sa rencontre, la pièce a embrassé le traumatisme de la dictature qui a régi l’Argentine de 1976 à 1983. Coïncidence, elle se joue quelques semaines après l’élection de Javier Milei, président autoritaire et ultralibéral qui réveille pour beaucoup de mauvais souvenirs.

Portrait de l'artiste après sa mort, Davide Carnevali © Victor Tonelli
Portrait de l’artiste après sa mort de Davide Carnevali © Victor Tonelli

L’enquête a beau être déroulée de façon linéaire par un Marcial Di Fonzo Bo méticuleux et sensible, elle procède d’un entrelacement assez vertigineux de récits qui réveille, avec celle de la dictature militaire argentine et ses dizaines de milliers de disparus, une seconde mémoire : celle de l’occupation nazie en France. L’acteur raconte : un jour, quand il vivait encore à Caen, il reçoit un courrier de la ville de Buenos Aires l’informant de l’existence d’un appartement à son nom (à une faute d’orthographe près) confisqué à l’époque par la junte militaire et désormais en passe d’être restitué. Lui et le metteur en scène Davide Carnevali, lequel cherche à jouer sa pièce dans l’hexagone, décident de se rendre sur place et de faire de cette recherche aussi personnelle qu’historique le sujet de ce Portrait français.

Pénétrant dans l’appartement abandonné, les deux hommes découvrent les stigmates de l’histoire d’un pays sujet à des crises successives en même temps que les reliques d’une vie, celle de Luca Misiti, pianiste dissident dont demeure, entre ces quatre murs, un piano, des partitions et quelques documents à son nom. Mais dans ceux-ci se dessine une seconde figure : celle de Schmit, un compositeur juif qui fuyait la France de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Misiti étudie les œuvres. Entre l’un et l’autre, les destins convergent, dessinant l’histoire croisée d’une condition, celle des dépossédés, sans que leurs spécificités historiques soient niées.

En plaçant les spectateurs en position d’enquêteurs dans des épisodes de l’histoire que l’on aurait toujours trop vite fait d’oublier, Portrait de l’artiste après sa mort réussit à solliciter une position active dans le travail de mémoire. Si le récit très factuel mené par le comédien laisse place, en dépit de la précision et la sensibilité de la mise en scène, à une théâtralité ténue, il finit par embarquer le public en l’invitant à descendre sur le plateau, dans un espace qui s’hybride alors entre spectacle et musée et où prend place, non sans émotion, une sorte de cérémonie d’exhumation de biographies jamais écrites. À ce titre, cette pièce se lit comme un témoignage, factice mais collé au réel, des victimes des dictatures française et argentine, en même temps qu’un commentaire sur les possibilités d’activation de ces mémoires au présent.

Dark Euphoria, Anne de Giafferri et Christian Delécluse © Céline Delatte
Cargo d’Anne de Giafferri et Christian Delécluse © Céline Delatte

Dans un festival dédié cette année aux cultures méditerranéennes, cette pièce transatlantique détone, mais elle n’entre pas moins en résonance avec les histoires d’exil qui traversaient la programmation. Juste avant à Saint-Ex, lieu dédié aux cultures numériques en face de la Comédie, Philippe Gordiani, le directeur de Césaré, le centre national rémois de création musicale, présentait Cargo, une installation sonore ambulatoire qui invite les auditeurs à se balader dans les échos de sept récits migratoires. Conçu et réalisé par l’autrice-réalisatrice de radio Anne de Giafferri et le plasticien Christian Delécluse, Cargo donne à entendre un échantillon des raisons multiples et complexes de la migration dans le bassin méditerranéen — du Soudan au Liban, du Mali à la Palestine en passant par l’Ethiopie. Rejoués avec une juste distance, ces voix ont de quoi réinjecter densité et complexité dans l’appréhension du fait migratoire.

Festival transdisciplinaire, FARaway s’étend au FRAC Champagne-Ardenne, affichant l’installation Nocturne de l’artiste turc Özgür Kar, soit deux sculptures d’écrans plats faisant cohabiter, dans une même pièce, un long tronc d’arbre attirant les mouches comme un cadavre et un grand squelette effrayé enjoignant de temps à autre les visiteurs de se taire. Le trait naïf du cartoon, ludique et ironique, contraste avec les associations d’idées qui font leur travail du cube blanc à la boîte noire, entre des figures enfantines de la peur et des histoires d’exil souvent traumatiques.


FARaway – Festival des Arts à Reims
Du 30 janvier au 10 février 2024
51100 Reims

Portrait de l’artiste après sa mort (France 41 – Argentine 78)
La Comédie – Atelier
13 Rue du Moulin Brûlé, 51100 Reims

Le 31 janvier et 1er février 2024
Durée 1h30

Texte et mise en scène Davide Carnevali
Scénographie Charlotte Pistorius
Lumières Luigi Biondi
Assistante à la mise en scène Manuela Beltrán Marulanda
Régie générale Vincent Bedouet
Régie lumière Gabriel Bouet
Régie son / vidéo Loïc Le Bris
Avec la participation de Nicolas Olivier
Musique originale Gianluca Misiti
Avec Marcial Di Fonzo Bo

Cargo
Saint-Ex, culture numérique
Chaussée Bocquaine, esplanade André Malraux, 51100 Reims

Du 1er au 10 février 2024

Direction artistique Anne de Giafferri et Christian Delécluse
Directeur technique Zak Cammoun (MU – Sound Delta)
Développements audio Frédéric Changenet (Radio France), Maxence Mercier
Assistant à la création sonore 3D William Petitpierre (MU – Sound Delta)
Audio 3D Noisemakers — plugin
Enregistrement voix Sébastien Crueghe, Maxime Covelli-Roubaud

Avec Fouad Ibrahim, Dounia Bessaya, Virginie Mandy Gomis (l’Absence), Basela Abou Hamed, Mohammed Fares (l’Errance), Firas Bejaoui, Abdelsalam Abdelraouf (l’Etudiant), Mouna Karimi, Hemma Lopez (la Negafa), Sonia Charikhi, El Hadj Adama Cisse, Massissilia Soualah (la Patiente), Bryan Gomba, Jean-Louis Lokossou (le Religieux)

Nocturne d’Özgür Kar
FRAC Champagne-Ardenne
1 Place Museux, 51100 Reims

Exposition du 31 janvier au 31 mars 2024

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