FAJAR OU L’ODYSSÉE DE L’HOMME QUI RÊVAIT D’ÊTRE POÈTE d'Adama Diop © Simon Gosselin
© Simon Gosselin

Fajar, la fuite en avant d’Adama Diop

Au TNS, le comédien présente sa première pièce, une sorte de voyage initiatique inachevé qu'il écrit, met en scène et réalise.

Depuis quelques saisons, un nom est sur toutes les lèvres : celui d’Adama Diop. Il est sans conteste un comédien d’une grande sensibilité. Après des débuts au Sénégal puis sur les bancs de l’ENSAD de Montpellier et du CNSAD de Paris, c’est aux côtés de grands noms du théâtre que le public français le découvre. Bernard Sobel, Cyril Teste, Julien Gosselin, Arthur Nauzyciel… D’une modernité saisissante dans l’Othello de Jean-François Sivadier, d’un naturel glaçant dans Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodrigues, le jeu du comédien dénote une force tranquille qui marque. Il était tout naturel d’imaginer que cet artiste talentueux puisse écrire, mettre en scène ou réaliser. Et, pourquoi pas, assurer toutes ces casquettes d’un coup d’un seul.

Cette quadruple implication n’a d’égale que l’ambition du récit auquel elle entend donner vie. Fajar ou l’odyssée de l’homme qui voulait devenir poète. Deux heures quarante en français et en wolof où dialoguent cinéma, musique live, slam, théâtre masqué, poésie, fable… L’imagination d’Adama Diop entend repousser les frontières, à l’image du parcours de son héros Malal. Sur scène, seulement quatre artistes-interprètes (particulièrement talentueux d’ailleurs), mais à l’écran, ce sont des dizaines d’acteurs et figurants qui se disputent l’affiche. 

Malal est un jeune poète sénégalais, qui, hanté par la mort de sa mère, ne trouve le sommeil que dans de longs rêves fiévreux où insécurités et allégories se répondent. On assiste alors à des tentatives d’assassinat dans les rues de Dakar mais aussi la rencontre avec une déesse déchue, Marianne, allégorie de la liberté incarnée par Marie-Sophie Ferdane ou encore un semblant de Tiresias porté par Frédéric Leidgens.

Malal est paralysé par ses propres ambitions poétiques, ambitions qui semblent d’ailleurs un peu creuses. Malal souffre, dénonce et écrit pour la posture. C’est d’ailleurs le reproche que lui fait un producteur alors qu’il lui présente son travail dans un long dialogue entre écran et plateau. Rarement le méta aura autant desservi un protagoniste. Adama Diop verbalise les défauts de Malal dans la bouche de ce personnage mais c’est le public qui les conscientise. Impossible, dès lors, de croire en son talent pourtant unanimement reconnu dans le récit.

Tous les protagonistes, constamment tournés vers lui, l’incitent à partir, se lancer, prendre des risques. En vain. C’est finalement l’impression d’un statu quo qui domine. Le personnage évolue peu et son envol est de courte durée. Malal se voit brutalement confronté à la réalité matérielle de la clandestinité dans une France raciste. L’occasion de porter un discours politique qui, une fois encore, dénote et ne répond pas aux promesses initiales.

L’histoire de Malal est celle d’une errance, une tentative constante de métamorphose qui laisse un arrière goût d’inachevé. Il en va de même pour la mise en scène d’Adama Diop. Bien sûr, certains propositions y sont séduisantes, à commencer par la musique qui offre une véritable identité au spectacle, le fait sûrement de l’alliance entre alto, violon, violoncelle, guitare, flûtes et ngoni).

L’artiste envisage d’abord un conte spirituel où les traditions du Sénégal s’offrent une place de choix. Mais le rideau s’ouvre sur un plateau nu et c’est ce même réalisme qui caractérise la réalisation du moyen-métrage. Parfois, la recherche de symbolique offre à Marie-Sophie Ferdane des séquences lunaires. Puis, le spectacle se fait plus littéral, quitte à étaler sous nos yeux paquets de chips et boissons ou à rejouer, à la manière d’une telenovela, la mort de personnages féminins qui manquent de profondeur. Rien de tout ça n’est préjudiciable mais toute proposition se voit désamorcée.

Du fait de ce jeu permanent avec les registres, on peine à déceler le parti-pris de la pièce, que ce soit sur le plan esthétique, narratif ou même politique. Dans cette odyssée, l’errance est d’abord celle du public. Et c’est un sentiment de gâchis qui prime car Adama Diop, on l’aurait suivi n’importe où. Encore fallait-il qu’il connaisse le chemin.


Fajar ou l’Odyssée de l’homme qui voulait devenir poète, texte et mise en scène d’Adama Diop
Théâtre National de Strasbourg
1 Avenue de la Marseillaise
CS 40184
67005 Strasbourg Cedex

En tournée
28 février au 9 mars 2024 à la MC93 − Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Les 12 et 13 mars 2024 au Théâtre de l’Agora – Scène nationale de l’Essonne
20 au 22 mars au Théâtre du Nord
Les 27 et 28 mars 2024 au Théâtre 71 – Scène nationale Malakoff
Le 4 avril 2024 à L’Azimut | Antony – Châtenay-Malabry
Avril-mai 2024 : Tournée en cours au Sénégal

Avec Adama Diop
et les musicien·nes Anne-Lise Binard (alto, chant, guitare électrique), Dramane Dembélé (ngoni, flûtes, mandingues), Léonore Védie (violoncelle)
Scénographie de Lisetta Buccellato
Son de Martin Hennart
Lumière de Marie-Christine Soma
Vidéo de Pierre Martin Oriol
Costumes de Mame Fagueye Ba
Conception des masques de Étienne Champion
Musique électronique de Chloé Thévenin
Collaboration artistique – Sara Llorca

Écriture et réalisation du film – Adama Diop
À l’image Emily Adams, Adama Diop, Cheikh Doumbia, Marie-Sophie Ferdane, Frédéric Leidgens, Sara Llorca, Boubacar Sakho, Fatou Jupiter Touré, Issaka Sawadogo, Joséphine Zambo
Chef opérateur du film – Rémi Mazet
Voix off – Randa Baas, Prince Kabeya Tshimanga, Marcel Mankita, Jonathan Manzambi
Chant iranien – Aïda Nosrat
Traduction – Randa Baas, Ndey Koddu Faal, Daphné Reiss

Le texte de Fajar ou l’odyssée de l’homme qui rêvait d’être poète est publié aux éditions Actes Sud-Papiers (janvier 2024).

Présentation de Fajar ou l’Odyssée de l’homme qui voulait devenir poète par Adama Diop © TNS

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