Par une moite journée d’été, dans un quartier délabré de la Nouvelle-Orléans, Blanche DuBois (troublante Cristiana Reali), enseignante désargentée, issue d’une longue lignée de propriétaires terriens, débarque chez sa sœur Stella (épatante Alysson Paradis). Habillée d’une robe rose bonbon, ruban de la même couleur dans les cheveux, la faisant ressembler à une des petites filles modèles de la Comtesse de Ségur, elle semble perdue, déboussolée. La tenancière des lieux dans son look de rockeuse sexy (détonante Marie-Pierre Nouveau) et le deux-pièces miteux, dans lequel elle va devoir cohabiter avec son beau-frère (Nicolas Avinée, tout en cris et hurlements faute d’avoir le costume adéquat pour le rôle), un ouvrier d’origine polonais, un homme brut de décoffrage, n’a rien pour la rassurer.
Jouant les grandes dames, dosant à merveille le savant mélange entre la femme-enfant et l’évaporée mijaurée, Blanche tente de faire bonne figure, de sauver les apparences et de séduire son monde. Derrière les sourires de façade, les faux-semblants, elle n’est jamais à court de piques pour rappeler aux autres, même à sa sœur, qu’elle n’est pas du même milieu. Sa plus grande crainte est que l’on découvre son secret, sa perte, sa ruine. Seul Stan, son rustre et alcoolique beau-frère, ne s’en laisse pas compter. Face aux brusqueries et aux brutalités quotidiennes de ce macho en puissance, les nerfs à fleur de peau, Blanche s’enferme de plus en plus dans un univers d’illusions. Le vernis craque, la mythomanie gagne du terrain, la folie inexorablement s’installe dans son esprit fragile.
Loin du mythe
Pauline Susini n’a pas choisi la facilité. S’attaquer à un monument théâtral devenu grâce à Élie Kazan et son casting, Marlon Brando et Vivien Leigh, un film mythique multi-oscarisé, n’a rien d’aisé. Pour se détacher de l’image sulfureuse et sexuelle qui se dégage du long-métrage, la metteuse en scène prend une autre approche, une autre traduction. Axant son propos sur le comportement patriarcal du mâle, ancrant la pièce dans un climat de violences conjugales pour mieux la faire résonner avec l’actualité, elle fait la part belle aux femmes, quitte à passer à côté du désir, de l’attraction désastre qui se joue entre Blanche et Stan. Ici, pas de sensualité virile exacerbée, pas de sex-symbol homoérotique, pas de désir tant promis par le titre, l’ambiguïté vient d’ailleurs, de la partition des comédiennes et comédiens.
Une mise en scène au service des comédiennes
Cristiana Reali, véritable poupée de porcelaine dont le corps et l’âme se fissurent à chaque nouveau mensonge, à chaque nouvelle réalité fantasmée énoncée, est impressionnante de candeur et de fourberie mélangée. Accentuant sa ressemblance avec Élisabeth Taylor, dont elle avait repris le rôle au théâtre dans La Chatte sur un toit brûlant du même auteur, elle incarne fiévreusement cette héroïne pitoyable autant que pathétique.
À ses côtés, Alysson Paradis rayonne. Humaine, sensible, elle donne à Stella une douceur et une belle intensité, qui touche juste. Lionel Abelanski, remarquable comme toujours, se glisse parfaitement dans la peau de ce vieux garçon profondément gentil, amoureux transi de l’évanescente Blanche. Quant à Marie-Pierre Nouveau, elle apporte son peps et sa gouaille à ce huis clos oppressant.
Clairement tout n’est pas parfait, quelques longueurs, quelques creux appesantissent l’ensemble. Mais Pauline Susini ne démérite pas. Si on ne retrouve pas totalement le climat mélancolique et l’ambiance fin de siècle de l’œuvre de Tennessee Williams, ayant opté pour une atmosphère plus intemporelle, elle signe Un Tramway qui perd en tension sensuelle, charnelle, ce qu’il gagne en climat anxiogène, en vertige psychique. Un spectacle en demi-teinte qui offre, il faut le reconnaître, un bel écrin à une comédienne tout à son aise dans ce registre qu’elle connait bien pour l’avoir déjà pratiqué trois fois !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams
Théâtre des Bouffes Parisiens
Rue Monsigny
75002 Paris
Durée 2h15
Mise en scène de Pauline Susini
Avec Cristiana Reali, Alysson Paradis, Nicolas Avinée, Lionel Abelanski, Marie-Pierre Nouveau, Djibril Pavadé, Simon Zampieri et Tanguy Malaterre
Traduction d’Isabelle Famchon