« Le bonheur » : il ne faut pas se fier au titre, parce que le film de Varda montre le bonheur comme il est le plus souvent : jamais constant. Avec des trous ; et de la mort dedans. » Certaines phrases conclusives d’un spectacle vous accompagnent longtemps après que les lumières de la salle se sont rallumées.
Austerlitz, c’est d’abord la voix de Gaëlle Bourges, monocorde mais enveloppante qui guide tout au long de la pièce. On s’y raccroche, on guette les infléchissements et les silences, on se laisse guider dans les méandres de sa mémoire et de ses souvenirs. Un rythme de conteuse qui enchaîne les récits en les reliant subtilement les uns aux autres. Entre anecdotes personnelles, propos en apparence anodins, digressions savantes, elle nous entraîne, avec sérieux et malice, dans un passionnant jeu de piste.
Les enfants d’un siècle de danse
Pour ce nouveau spectacle, Austerlitz, la chorégraphe s’est inspirée du roman éponyme de W.G. Sebald offert par une amie. Un livre « constellé de petites photographies en noir et blanc ». Comme celles qui se succèdent en fond de plateau et illustrent les différentes séquences de cette traversée d’un siècle de danse. Des enfants costumés, un extrait d’un documentaire sur le mouvement punk en Allemagne de l’Est, l’affiche du film Fame, la clinique Bellevue où le danseur Vaslav Nijinski a séjourné à de maintes reprises, un cirque tzigane…
Nul besoin d’avoir lu la vie de Jacques Austerlitz, le héros de W.G. Sebald en quête de ses origines. Gaëlle Bourges nous en livre quelques clefs tout au long du spectacle pour nous permettre de comprendre les passerelles qu’elle jette entre ce personnage de fiction et ses compagnons de scène. Par un habile fil d’Ariane, elle unit les souvenirs des interprètes au plateau à la littérature, au cinéma, à l’histoire de l’art et de la danse. Elle joue le jeu des premières fois, de la rencontre avec la danse, des correspondances, des hasards qui se répondent, des réminiscences diffuses. Soudain, nos propres souvenirs croisent ceux évoqués. « Avant de rencontrer Agnès, Alice collectionnait déjà dans de grands classeurs des articles sur des spectacles de danse de toute sorte, des spectacles que, la plupart du temps, elle ne voyait pas. »
La couleur des souvenirs
Quelle couleur ont les souvenirs ? Ceux de Gaëlle Bourges prennent mille nuances de gris. Grâce à un dispositif de voile tendu en bord de plateau, elle place ses interprètes dans une atmosphère vaporeuse et mystérieuse. Entre ombre et lumière, baignés par les éclairages ciselés de Maureen Sizun Vom Dorp, tous dessinent des chorégraphies furtives et fantomatiques qui semblent s’estomper au fur et à mesure. Un peu flous, un peu surexposés, à moitié effacés, comme les souvenirs dans nos mémoires.
Projet artistique à la beauté plastique peut-être un peu froide, mais extrêmement fascinante, Austerlitz a la puissance des pièces mémorables qui vous habite longtemps. Ces instantanés de vie et de danse composent une partition entêtante qui peut perdre parfois, mais vous rattrape toujours. Par la grâce d’une silhouette, la simplicité d’un geste ou la force d’une image.
Claudine Colozzi
Austerlitz de Gaëlle Bourges d’après l’œuvre de W.G. Sebald
création le 9 novembre 2023 au Festival Immersion, L’Onde Théâtre – Centre d’art, Vélizy-Villacoublay (78)
Vu le 19 janvier 2023 au théâtre Public de Montreuil
Durée : 1h45
Tournée
13 et 14 février 2024 à la Maison de la culture d’Amiens (80)
1er mars 2024 au Théâtre Antoine Vitez – scène d’Ivry (94)
5 au 7 mars 2024 au théâtre de la Vignette à Montpellier (34)
Conception & récit de Gaëlle Bourges
Avec Gaëlle Bourges, Agnès Butet, Camille Gerbeau, Pauline Tremblay, Alice Roland, Marco Villari & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK
Costumes d’Anne Dessertine
Accessoires – Gaëlle Bourges & Anne Dessertine
Lumières de Maureen Sizun Vom Dorp
Musiques de KrYstian & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK
Chant tou·te·s les performeur·euse·s + KrYstian
Images projetées archives (personnelles et autres)
Régie générale – Stéphane Monteiro
Régie son – Michel Assier-Andrieu